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NOS MAÎTRES

M. Masson nous affirme, au contraire, qu’elle demeurait déjà lorsque Napoléon est venu la voir pour la première fois. Mêmes contradictions à chaque page, qu’il s’agisse de l’épisode de Mme Fourès, la belle Bellilote du Caire, de Mme Walewska (dont M. Lévy fait une amoureuse, et M. Masson une martyre), de Marie-Louise. Puisant aux mêmes sources, avec des intentions pareilles, M. Lévy et M. Masson en ont rapporté des récits tout différents : tant il est vrai que, parmi toutes les illusions, il n’y en a point de plus illusoire que la vérité historique, et que jamais deux yeux ne verront la même image, dans ce torrent d’apparences qu’est l’univers en dehors de nous !

Renonçons donc à choisir la plus exacte, parmi ces figures diverses de Napoléon. Les contemporains mêmes de ce grand homme ne l’ont pas connu : ni sur les événements de sa vie, ni sur son caractère, ni sur son aspect extérieur, leurs témoignages ne s’accordent. Et maintenant rien ne reste plus de lui qu’une ombre flottante, qui se dérobe devant nous quand nous croyons la saisir.

Mais, au-dessus de la soi-disant vérité historique, il y a cette vérité vivante dont nous revêtons dans nos cœurs les images qui nous plaisent. Et il n’importe pas que chacun de nous se fasse d’un grand homme une image différente, pourvu qu’il l’a voie réelle et pourvu qu’il l’aime. Si M. Taine avait publié son livre vers 1869, aux dernières années du second Empire, j’imagine que c’est son Napoléon qui aurait été le plus vrai : son Napoléon est d’ailleurs, à peu de chose près.