Page:Wyzewa - Nos maîtres, 1895.djvu/193

Cette page n’a pas encore été corrigée
181
RENAN ET TAINE

la théorie Je révolution avait, au point de vue politique, deux conséquences nécessaires.

D’abord elle établit, certainement, l’inégalité des personnes humaines. L’humanité n’est pas une espèce homogène, créée d’un seul acte, avec une raison qui la distingue des êtres inférieurs et lui confère un droit naturel commun à tous les hommes. Les hommes sont des animaux supérieurs, plus compliqués, et, par suite, plus différents les uns des autres. Suivant leurs milieux, la durée de leur hérédité humaine, et les conditions de cette hérédité, ils ont d’autres esprits ; et, — l’esprit étant l’ensemble des désirs, — d’autres désirs. Le Papou n’est point de la même espèce que l’Européen, ni notre frère que nous. Chacun a des plaisirs qui lui sont propres, et des besoins qu’il a seul. Ces besoins sont plus simples, moins nombreux chez les hommes inférieurs ; donc, pour ceux-là, des droits plus simples, moins nombreux.

C’est le premier axiome politique de M. Renan. Le second est la possibilité et la nécessité, pour les hommes, de recréer raisonnablement l’univers. Ce que nous appelons la nature n’est pas un état primitif et immuable : c’est déjà un état secondaire, un progrès sur des états antérieurs. Mais l’évolution, avant l’homme, s’est faite aveuglément : la nature que nous avons autour de nous n’a pas été créée pour nous. Il faut donc que l’homme, comprenant les choses, et, par suite, maître d’elles, les refasse ; qu’il reconstruise l’univers, pour l’adapter à ses besoins. Rien n’est immuable : ce qui peut être conçu peut être réalisé ; savoir, c’est pouvoir.