Page:Wyzewa - Nos maîtres, 1895.djvu/18

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
6
NOS MAÎTRES


l’essence de la nature s’exalte ainsi, magnifique ? Quelle est, pour Wagner, cette Nature, cette Réalité, cette Volonté première, cette Essence immanente, si prodigieusement bienheureuse ?

Cette Essence n’est point l’inconcevable Volonté, absolue et inveuillante, de Schopenhauer ; cette Essence des choses est l’homme, c’est le Moi, c’est la volonté individuelle, créant le monde des apparences. Au fond des apparences est l’Esprit, qui les connaît, et qui, pour les connaître, les produit. L’univers où nous vivons est un rêve, un rêve que volontairement nous rêvons. Il n’y a point, en réalité, de choses, point d’hommes, point de monde : ou plutôt il y a tout cela, mais pas ce que l’Être, fatalement, se doit projeter en des apparences. Et notre douleur, aussi, est le volontaire effet de notre Âme.

Seul vit le Moi ; et seule est sa tâche éternelle : créer. Mais la création résulte des idées actuelles. Nous projetons au néant extérieur l’image de notre essence intime ; puis, la croyant véritable, nous continuons à la créer pareille ; et nous souffrons ensuite de ses incohérences, tandis qu’elles sont ouvrage de notre plaisir. Enchaîné dans la caverne, le prisonnier se lamente et s’effraie, parce que d’épouvantables fantômes se heurtent sur le mur, devant ses yeux.

Mais le prisonnier, sous l’influence d’idées nouvelles, voit ses chaînes tomber. Il se retourne,