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NOS MAÎTRES

curiosité propre, il fut ému par les théories qu’il imaginait. Pareillement il fut ému par les histoires qu’il racontait, se les racontant à lui-même, pour assouvir son besoin natif d’une vie supérieure. Il s’exalta sur les rêves de son âme, au lieu, comme les autres écrivains, d’astreindre son âme à rêver pour le public. Et dès lors il dut, écrivant ses rêves, et peut-être à son insu, imprégner son style de l’émotion qui le poignait. Voilà pourquoi ses histoires, malgré leurs défauts, et leur différence avec ce que veulent nos habitudes littéraires, et malgré que nous ne puissions pas les revivre comme histoires, nous émeuvent encore indiciblement. L’onduleuse musique des phrases, toujours appropriée au sujet, nous révèle, par son enchantement, un reflet du monde supérieur où vit le poète.

Sur une scène royale, parmi les splendeurs de décors variés, M. de Villiers se joue pour lui-même, au loin de nous, les drames magnifiques d’une intense, surhumaine, et touchante vie. Nous n’assistons pas au spectacle, dont notre vieille indigence volontaire nous a fermé l’accès. Mais, tandis que la plupart de nous, en sérieux démocrates, se détournent, avec un haussement d’épaules, devant le seuil de ce théâtre aux portes verrouillées, quelques-uns, curieux encore des altiers désirs interdits, appliquent leurs oreilles aux fentes des murs. Et ceux-là entendent, venue faiblement à eux de la scène invisible, une prodigieuse musique, qui lentement les pénètre, et désormais les retient : c’est l’orchestre qui, là-bas, accompagne le drame. Et les harmonies qu’il sonne éclatent à ce