Page:Wyzewa - Nos maîtres, 1895.djvu/170

Cette page n’a pas encore été corrigée
158
NOS MAÎTRES

à une expression plus complète des phases émotionnelles ; mais la mélodie de Quincey est moins riche et moins sonore que celle de M. de Villiers, et celui-ci demeure assurément, en ce sens, le plus admirable musicien de notre langue française.

Les quelques vers qu’il a jadis publiés étonnent par la variété des harmonies, sinon des rythmes, par un souci à modifier la musique suivant les détours de Témotion. Et puis des strophes d’une douceur voilée, attendrie, lointaine.

Mais M. de Villiers a bientôt compris que la poésie, étant une musique, devait, comme la musique instrumentale, s’affranchir des formes étroites oii des traditions l’avaient enfermée. Il a renoncé aux poèmes en vers, rimes et rythmés régulièrement. Il a déféré à la prose le pouvoir de créer l’émotion par un enchaînement sonore de rythmes et de syllabes. Et il a édifié une prose d’harmonie hautaine ou bien délicate, gardant l’impérissable caractère d’une solennité aristocratique, mais se modifiant, sous la continuité du ton général, en des strophes désolées, cruelles, et puis en d’autres qui sont pareilles à des vols légers, par quelque nuit chaude.

Rarement — et si ce n’est pour le seul effet musical — il s’attarde aux peintures. Mais, comme il vit avec une extrême intensité la vie des mondes qu’il crée, il sait traduire, dans sa phrase, l’émotion des lieux et des choses. Il néglige de restituer les sensations, leur ordre : il note seulement quelques détails essentiels ; et par eux il suggère toute la