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NOS MAÎTRES

jours, dans son âme, l’ennui de ce monde. Et comme il aura le besoin natif de vivre une vie différente, toute d’élégances et de finesses, et à lui seul propre, il se construira librement, au-dessus du monde de nos réalités, un monde nouveau, supérieur, princier, où il régnera. Tandis que les autres hommes se fatigueront à la poursuite des luxes, des richesses ou des honneurs, il aura, lui, aisément, malgré la négligence de sa mise et la détresse de son mobilier, toutes ces délicates jouissances qu’il se sait dues : soit qu’il se constitue, une fois pour toutes, l’illusion de quelque palais, s’y attardant parmi les caresses lascives d’une reine, soit qu’il varie sans arrêt ses fantaisies, toujours les vivant, toujours ressentant les joies d’une existence princière.

Il sera un halluciné : mais, comme il créera ses rêves volontairement, dans toute leur suite, il sera aussi un artiste. L’artiste est celui qui peut créer une vie. Cependant le prince, si même des nécessités cruelles le contraignent à écrire, ne deviendra jamais un artiste produisant, un écrivain. C’est que l’art, en même temps qu’il exige un esprit capable de créer la vie, exige également la faculté de réaliser au dehors la vie créée ; il comporte une part manuelle, le travail de la rédaction : et l’âme du prince sera toujours impropre à un tel travail. Les livres qu’il fera ne seront point composés. Un plan tracé d’avance, un ordre suivi rigoureusement, il faut, pour ces choses, être de sangfroid, asservir, dès le début, sa création à une fin pratique. Le prince ne sera point davantage capable