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NOS MAÎTRES

laissera-t-on que je dise encore quelques mots sur l’ensemble des œuvres en prose de M. Mallarmé ? Nous avons aujourd’hui une habitude d’écrire funeste, prise au collège, et qui nous rend incapables d’une expression artistique. Nous concevons nos phrases, d’abord, à l’état de raisonnements abstraits : nous vivons seulement les idées ; et puis, devant le papier, nous déformons notre vision première pour mettre dans nos phrases des mots trouvés après coup, et pour les asservir à des tournures convenues, plaisamment appelées grammaticales, comme si l’unique grammaire n’était point la logique naturelle, ordonnant toutes les idées dans notre âme ! M. Mallarmé fut amené par une longue réflexion à d’autres façons de comprendre le style. Il a voulu vivre d’abord la phrase entière, c’est-à-dire l’idée toute, avec ses détails, leurs plans divers, les attitudes et les nuances des sensations. Puis, il a sincèrement écrit sur le papier toute sa vision de cette idée : il nous a restitué intacte la phrase vécue : respectant l’ordre des sensations, les incidences, les plans qu’occupaient les parties diverses de l’idée, dans son âme. Une prose artistique et vivante, obscure aux lecteurs des journaux, mais donnant aux lettrés la jouissance incomparable d’une haute pensée traduite objectivement.


V

Ces poèmes et ces proses, M. Mallarmé n’a point publié d’autres œuvres ; et ainsi de celles-là seu-