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M. STÉPHANE MALLARMÉ

les sociétés humaines effarées, ce sont rêves de l’âme : réels, mais tous rêves ne sont-ils point réels ? Notre âme est un atelier d’incessantes fictions, souverainement joyeuses lorsque nous les connaissons engendrées de nous. Inondante joie de la création, délice du poète arraché aux intérêts qui aveuglent, orgueil dernier d’être un œil librement voyant, et voyant les rêves qu’il projette : tel est le sujet des poèmes que nous a offerts M. Mallarmé.

Un faune, par l’après-midi adorable d’un antique orient, a vu les nymphes légères, aimantes et folles. Elles ont fui. Et le faune s’éplore ; c’était un rêve, à jamais perdu. Mais il comprend que toutes les visions sont rêves de son âme ; et délicieusement il évoque les douces envolées. Il recrée leurs formes, les baisers chauds deleurs lèvres : il va enlacer la plus belle… De nouveau la vision s’enfuit. Mais oh ! que vaines seraient les douleurs ! À son aise il rappellera les nymphes lascives, créations bien-aimées de ses yeux[1].

Un noble poète est mort. Des regrets ? Mais qu’est-ce donc que la mort d’un homme, sinon la disparition en nous d’un de nos rêves ? Les hommes que nous croyons réels, ils sont — et rien de plus — la triste opacité de leurs spectres futurs. Une ombre seulement s’efface, lorsqu’ils s’en vont. Mais le poète, en outre de la vaine existence corporelle, vit encore pour nous une vie plus haute, impérissable. Le poète est une agitation solennelle de

  1. L’Après-midi d’un faune.