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III
NOS MAÎTRES


savoir, écrivais-je déjà dans la Revue Indépendante en 1887 ; qu’on empêche l’humanité d’apprendre, et on l’empêchera de sentir la douleur. » Les reproches que cette opinion m’a valus depuis lors n’ont point réussi à me la faire quitter. Je ne comprends toujours pas la singulière espèce de curiosité qui nous porte à vouloir interroger la nature sur des secrets qui n’intéressent qu’elle, et que, décidément, elle se refuse à nous révéler. Ou plutôt, pour vaine que soit cette curiosité, j’essaierais de la comprendre si je ne comprenais trop l’immensité du dommage qu’elle nous cause, en nous détournant des sources véritables du bonheur et de la sagesse. Car ce n’est pas seulement la vérité qui manque aux soi-disant vérités de la science : mais elles ne sont, en outre, ni belles ni bonnes : et voici déjà que le monde est devenu presque inhabitable, depuis cent ans que les lumières s’y sont répandues.


Je ne vois qu’un point, à dire vrai, sur lequel j’aie réellement complètement changé. Tout en me méfiant de la science, je croyais encore, il y a dix ans. à la possibilité pour l’esprit humain de concevoir l’univers. J’attribuais à la pensée je ne sais quelle valeur souveraine : et aux soi-disant vérités de la science j’opposais une vérité supérieure, jaillissant du libre exercice de l’intelligence. Et, maintenant, cette vérité-là me semble