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M. STÉPHANE MALLARMÉ

seulement, pour rendre plus facile leur tache de musiciens, choisi des sujets à dessein banals ou vides : des sentences proverbiales, des peintures déjà souvent tracées, tout le répertoire des vieilles romances et des déclamations pessimistes. Ils ont encore affecté d’être impassibles, voulant que leur dédain des choses à dire parût ainsi mieux justifié. Ils ont enfermé leurs poèmes en des formes fixes, sonnets, ballades, rondels, sous un harnachement rigoureux de rimes pleines : et c’était prouver que tous sujets leur indifféraient, tous étant par eux soumis aux mêmes attitudes, aspects et dimensions. Volontiers ils eussent accueilli un thème commun, tel bonheur ou désespoir d’amour. Seules pour les séduire étaient les variations, c’est-à-dire les figures diverses des musiques. Leurs sujets, c’était le prétexte nécessaire, comme à un musicien le libretto de l’opéra.

Et c’est par ces poètes Parnassiens que fut recréée, vraiment, notre poésie : par Théophile Gautier, qui se dénommait un ouvrier du vers, et qui chercha, en bon ouvrier des alliances nouvelles de sons et de rythmes ; par M. Théodore de Banville, prêt à soumettre toutes choses, sans différence, à sa forme brillante, d’ailleurs spécialement rythmique ; par M. Leconte de Lisle, plus soucieux des sujets, mais qui demeure surtout l’inventeur de tonalités précieuses, lentes et graves : par M. Verlaine, qui, séparé ensuite du Parnasse, fut toujours le parfait exemplaire de l’école : artisan prodigieux, ayant vidé son àme dépensées ou d’images, créant des assonances légères, dolentes, comme fluides ;