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qu’il ait ou non des successeurs, qu’il achève ou non l’œuvre admirable qu’il essaie, il s’imposera surtout à notre admiration parce qu’il aura été un Artiste.

C’est que, depuis Beethoven (à qui, et à nul autre, je le dois toujours comparer), M. Mallarmé aura seul donné cette image d’un Artiste véritable. Il a seul préfère toujours, à tous les argents, à toutes les gloires, la création libre et consciente d’une vie artistique. Un fou, dira-t-on ? Oui, assurément. Car la folie est une « différence ». Et non pas un fou pareil à tel autre récitateur merveilleux, qui crée aussi un monde différent, mais de façon instinctive, sans la joie consciente de se connaître créateur. La folie de l’Artiste est plus haute : elle est plus joyeuse. Elle est à connaître la réalité commune, et, librement, à dresser, plus haut, une réalité meilleure. Elle est à éprouver le plaisir de l’Action suprême, à se savoir, à se faire un « différent » !

M. Mallarmé, sans doute, connaît ce plaisir. Il assiste à sa création des Fictions idéales. Il a construit si loin le temple pur de son art qu’il l’a mis à l’abri de la Gloire elle-même. Il ne verra point ce que verraient aujourd’hui Racine et Beethoven, ses œuvres polluées par l’admiration avilissante des niais. Et il aura la joie entre toutes sainte et délicieuse, il aura toujours, dans la sérénité bienheureuse de son noble esprit, les railleries et les dédains des hommes pour son incompréhensible folie.



4009 — abbeville, typ. et stér. a. retaux. — 1886