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IV

M. Mallarmé a doté la poésie d’une langue nouvelle : il a aussi renouvelé notre prose française. Il y a fait des chefs-d’œuvre de profondeur et de finesse : une traduction des poèmes de Poë[1], prodigieusement fidèle par la restitution des émotions, sous les mots ; une Préface à Vathek[2], légère, délicate, réalisant la prose que le dix-huitième siècle aurait dû écrire ; puis un article sur Wagner[3], où, avec l’impartialité d’un artiste, il compare le drame musical du maître allemand à l’idéal dramatique que lui-même a conçu : c’est là qu’il a défini la Musique d’une définition enfin décente : « ces raréfactions et ces sommités naturelles que la musique rend, arrière-prolongement vibratoire de nos idées. » Mais laissera-t-on que je dise quelques mots sur la prose de M. Mallarmé ?

Nous avons une habitude d’écrire funeste, prise au collège, et qui nous rend incapables d’une expression artistique. Nous concevons nos phrases, d’abord, à l’état de raisonnements abstraits : nous vivons seulement les idées ; ensuite, devant le papier, nous déformons notre vision première pour mettre dans notre phrase des mots trouvés après coup, et pour l’asservir à des tournures convenues, plaisamment appelées grammaticales, comme si l’unique grammaire n’était point la logique naturelle, ordonnant toutes les idées

  1. Cette traduction, publiée jadis en divers recueils, sera rééditée prochainement par le bibliopole Vanier.
  2. Alphonse Labitte, éditeur.
  3. Revue wagnérienne, 8 août 1885.