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reux de rimes pleines : et c’était prouver que tous sujets leur indifféraient, tous soumis, par ces poètes, aux mêmes attitudes, aspects et dimensions. Volontiers ils eussent accueilli un thême commun, tel bonheur ou désespoir d’amour. Seules à les séduire les variations, c’est-à-dire les figures diverses des musiques. Leurs sujets, c’était le prétexte nécessaire, comme à un musicien le libretto de l’opéra.

Et par ces poètes Parnassiens fut créée, vraiment, notre Poésie : par Théophile Gautier[1], qui se dénommait un ouvrier des vers et qui chercha, en ouvrier, les alliances nouvelles des sons et des rythmes ; par M. Théodore de Banville, prêt à soumettre toutes choses, sans différence, à sa forme brillante, d’ailleurs spécialement rythmique ; par M. Leconte de Lisle, plus soucieux des sujets, mais qui demeure, surtout, l’auteur de gammes précieuses, lentes et graves ; par M. Verlaine, qui, séparé ensuite du Parnasse, fut toujours le parfait exemplaire de l’école : artisan prodigieux, ayant vidé son âme de pensées ou d’images, ouvrant des assonances légères, dolentes, comme fluides ; par M. le comte de Villiers de l’Isle-Adam, le plus admirable musicien des mots, magique dominateur des sonorités verbales, et dont les poèmes ont le charme inexpliqué de mélodies infiniment pures. Par eux fut donné à l’Art un vocabulaire poétique, enrichi encore par maints autres qu’a saisis l’Oubli.

  1. J’omets Hugo et Baudelaire : le premier, créateur infatigué d’images, promoteur de rythmes faciles, un génial orateur donc, plutôt qu’un poète ; le second, psychologue original, théoricien, mais trop dédaigneux des musiques voulues, pour être davantage un poète.