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sche, de son côté, tout en étant un merveilleux poète, n’a jamais vécu que pour la pensée. Seules les idées lui paraissaient valoir qu’on s’en occupât. Dans la plus admirable musique, il voyait un « pont » conduisant à quelque conception générale des choses. Et, ayant construit sur le drame de Wagner tout un palais d’idées, — magnifiques, en effet, et si fortes qu’aujourd’hui encore il reste le plus grand des écrivains wagnériens, — c’est de la meilleure foi du monde qu’il considérait ensuite ce drame lui-même comme un peu son œuvre, et s’attendait à recevoir la part de gloire qui lui en revenait.

Sa déception fut terrible : il en souffrit toute sa vie, et sa souffrance est la meilleure excuse à ses cruels jugements sur Richard Wagner. Ce n’est point par simple rancune, ainsi qu’on l’a trop souvent répété, ce n’est pas non plus par folie qu’il s’est acharné jusqu’au bout contre la personne et l’œuvre de son ancien ami. Il avait l’âme noble, et peu d’hommes ont été plus naïvement bons, d’une bonté plus douce et plus compatissante, que ce farouche contempteur de la compassion. Loin d’avoir contre Wagner une rancune personnelle, on a vu combien il continuait à l’aimer, quel tendre et touchant souvenir il avait gardé de son amitié. La musique même de Wagner continuait à le passionner : ce