Page:Wyzewa - Beethoven et Wagner, 1898.djvu/204

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’humanité ». Il s’était dévoué au « plan » de Wagner avec l’espoir que celui-ci, à son tour, allait se dévouer au sien. Mais Wagner ne faisait pas mine d’y songer. Il jouissait de son triomphe, seul au-dessus de la foule de ses admirateurs, offrant fièrement à l’Allemagne l’immense monument qu’il venait d’édifier pour elle. Le malheureux Nietzsche devait s’avouer que son « allié » avait trompé son attente, et que son long sacrifice resterait inutile. C’est tout cela qu’exprime à sa façon Mme Fœrster dans un des passages les plus curieux de son livre. « Un matin que nous étions venus chez Wagner, écrit-elle, nous le trouvâmes dans son jardin, se préparant à sortir. Je ne me rappelle plus ce qu’il nous dit, mais tout à coup je vis une lueur s’allumer dans les yeux de mon frère, et tout son visage s’animer avec une expression d’attente fiévreuse. Peut-être espérait-il que Wagner allait enfin lui dire : « Oh ! mon ami, toute cette fête n’est qu’une farce, ce n’est point du tout ce que, à nous deux, nous avons désiré et rêvé ! » Mais aux premières paroles qui sortirent ensuite de la bouche de Wagner, je compris bien que l’attente avait été vaine. Cet aveu, que mon frère avait espéré, Wagner ne le fit point : il n’aurait pu le faire. Il n’était plus assez jeune pour prendre parti contre soi-même ! »