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Et il était forcé de constater que Wagner lui-même l’avait à peine entendu.

Aussi n’imagine-t-on pas le supplice que furent pour lui ces répétitions de Bayreuth, dont Wagner avait espéré qu’elles lui seraient une récompense. Il écrivait bien à sa sœur, le lendemain de son arrivée, que le roi de Bavière avait télégraphié pour témoigner du « ravissement » que lui avait causé la lecture de son livre. Mais, sauf Louis II, qui lui-même sans doute ne s’en souciait guère, personne ne se souciait du livre, ni de l’auteur. Un seul homme, une seule œuvre absorbaient toutes les pensées.

Ou plutôt il ne faut pas croire que l’amère et profonde désillusion de Nietzsche lui soit venue du peu d’attention qu’on accordait à son livre. Son orgueil était plus haut, et plus légitime. Il aurait voulu que Wagner et le monde wagnérien reconnussent la part qu’il avait prise à cette œuvre même, dont on acclamait la consécration. Il avait l’impression d’avoir collaboré avec Wagner, en élevant pour ainsi dire cette entreprise théâtrale jusqu’à la dignité d’une révolution esthétique et philosophique. Et l’Anneau du Nibelung n’était à ses yeux qu’un début, quelque chose comme ce « pont » par où il avait rêvé de conduire l’esprit allemand à « une conception foncièrement inchrétienne du monde et