Page:Wyzewa - Beethoven et Wagner, 1898.djvu/134

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et, de fait, il y avait en lui un grand poète, et l’action de ces drames est émouvante et forte. Mais avec tout cela j’ai beau faire : d’année en année Wagner musicien m’intéresse davantage au détriment de Wagner dramaturge. En vain je médis que cette adorable musique a été destinée à m’attacher à l’action d’un drame, ou plutôt à constituer l’essence de cette action. L’action m’ennuie, dès que j’entends la musique. J’oublie Wotan et Brunehilde, et Tristan, et Hans Sachs, pour me laisser enchanter de cette seule musique, la plus sensuelle qui soit, et non point céleste, mais en quelque sorte infernale, car elle me grise et m’affole comme un philtre pervers.

C’est que Wagner, peut-être, aura été lui-même la victime de ce pouvoir magique qu’il portait en lui. Très sincèrement il aura voulu écrire des drames, faire vivre des âmes humaines d’une vie artistique parfaite, sans s’apercevoir que sa musique lui tenait trop au cœur pour pouvoir nous traduire autre chose que son propre cœur. Et ainsi, dans le livret, Tristan, Siegfried, Hans Sachs, Parsifal nous paraissent des êtres vivants, et la profonde poésie de leurs émotions nous pénètre profondément. Mais au théâtre, dès que la musique essaie de nous attacher tout à fait à eux, elle nous en détache, tant elle est caressante, et berçante, et ensorce-