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INTRODUCTION

chimie organique à la place de M. Dumas, détourné du professorat par ses occupations politiques et administratives.

Il travaillait, alors dans un laboratoire obscur et incommode, situe à l’école pratique de la Faculté de médecine, dans les combles du musée Dupuytren. Lorsqu’il en prit possession, il le trouva dans un tel état que son premier soin fut d’aller avec son préparateur, M. A. Rigout, acheter un pot de couleur et des pinceaux et de peindre lui-même les murs noircis par la fumée et par la poussière ; il a toujours aimé, non seulement l’exactitude et le soin dans les recherches, mais une certaine élégance dans le travail, maintenue d’ailleurs dans des limites très restreintes par les nécessités budgétaires ; et il ne lui était pas indifférent de travailler dans un laboratoire clair, gai, bien tenu, comme devraient l’être toujours ces lieux, où le savant passe la plus grande partie de sa vie et parfois compromet sa santé.

On peut deviner combien l’installation du sien laissait à désirer, si l’on se reporte à ce qu’on faisait alors pour les meilleurs. Le fait suivant montrera mieux encore ce qui en était. Un jour, l’un de ses amis les plus chers, son compatriote M. Himly, le rencontre se promenant tranquillement, contre son habitude, de long en targe sur la place de l’École-de-Médecine. Cependant il avait l’air préoccupé, et à la question : « Que fais-tu là ? » il répondit « J’ai mis une expérience en train, et il y a beaucoup de chances pour que l’appareil saute. Je suis donc sorti, emportant la clef dans ma poche. Dans un moment j’irai voir ce qui s’est passé. » L’appareil avait tenu bon mais la précaution du jeune chimiste, qui pourtant ne péchait pas par excès de prudence, prouve qu’il ne disposait d’aucun des agencements, devenus habituels aujourd’hui, pour éviter le danger des explosions.

Il avait comme voisin, à l’École pratique, Favre, qui commençait alors ses importantes recherches thermo-chimiques et qu’il entendait dans une pièce voisine frapper à petits coups sur son calorimètre, pour vaincre l’inertie de l’instrument. Nicklès vint aussi parfois dans le laboratoire de Wurtz faire quelques expériences, pour lesquelles il y trouvait toujours bon accueil.


Désireux de se procurer des moyens de travail moins imparfaits, Wurtz s’associa en 1850 avec deux jeunes chimistes Ch. Dollfus et Verdeil, qui revenaient de Giessen, où ils s’étaient initiés à la chimie pratique sous la direction de Liebig, pour ouvrir un laboratoire, rue Garanciére. Les trois amis devaient y poursuivre leurs recherches particulières et recevoir quelques élèves. Ch. Dollfus apportait dans l’association les capitaux nécessaires ; Verdeil, une intelligence vive et un esprit d’entreprise que la prudence ne tempérait pas assez ; Wurtz, sa science et l’influence naissante que lui donnait son enseignement à la Faculté de médecine. Il était le véritable directeur scientifique de l’entreprise, et l’on peut dire que ce fut là l’origine de son laboratoire, qui a vu naître tant