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semble de la création, il peut bien exister des régions désertes et inhabitées, qui ne sont pas utilisées d’une manière nécessaire pour le but que la Nature se propose en général, l’entretien d’êtres raisonnables. Le nier serait comme si l’on voulait se fonder sur la sagesse de Dieu pour refuser d’admettre que des déserts sablonneux et inhabités couvrent une grande portion de la surface de la Terre, et qu’il existe dans l’étendue des mers des îles abandonnées où ne se trouve pas un homme. Et pourtant une planète est bien moindre auprès de l’immensité de la création, que ne l’est un désert ou une île auprès de la surface de la Terre.

Il se peut que tous les astres du ciel ne soient pas encore complètement formés ; des centaines, des milliers d’années doivent s’écouler avant qu’un grand corps céleste ait atteint l’état de solidité des matériaux qui le composent. Jupiter semble bien être encore dans cet état de transition. Les variations qu’on a observées dans sa forme, à diverses époques, ont depuis longtemps donné à penser aux astronomes que cette planète doit être le théâtre de violentes convulsions, et que sa surface est bien loin d’offrir la tranquillité nécessaire à une planète habitable. N’eût-elle point d’habitants, et ne dût-elle jamais en avoir, elle ne serait après tout qu’une dépense de la nature infiniment petite auprès de l’immensité de l’ensemble de la création. Et la nature ne ferait-elle pas bien plutôt preuve d’indigence que de prodigalité, si elle devait être si soucieuse de ne laisser aucun point de l’espace sans y étaler toutes ses richesses ?

Mais il est certainement plus satisfaisant de penser que si Jupiter n’est pas habité aujourd’hui, il le deviendra pourtant un jour, lorsque sera achevée la période de sa formation. Peut-être notre Terre a-t-elle existé pendant des milliers d’années et plus encore, avant de se trouver prête à recevoir des hommes, des animaux et des plantes. Qu’une planète n’arrive à cet entier développement que plusieurs milliers d’années après la Terre, elle n’en remplira pas moins le but de son existence. Il en résultera seulement que, dans l’avenir, elle conservera plus longtemps son état de planète parfaite, quand une fois elle l’aura atteint. Car c’est une loi tout à fait générale de la nature, que tout ce qui a eu un commencement marche incessamment vers son déclin, et se rapproche d’autant plus de sa fin qu’il s’éloigne davantage de son point d’origine.