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désordre. Mais les considérations que j’ai fait valoir plus haut m’apprennent qu’un pareil développement de la nature n’a en soi rien d’extraordinaire ; qu’il est au contraire une conséquence nécessaire de sa tendance essentielle, et que c’est la démonstration la plus magistrale de sa dépendance d’un Être préexistant, qui a en lui-même la source de tous les êtres et des lois primitives de leurs actions. Cette vue redouble ma confiance dans le dessein que j’ai conçu. Ma confiance s’augmente à chaque pas que je fais en avant et ma timidité s’évanouit.

Mais l’apologie de votre système, me dira-t-on, est en même temps l’apologie des imaginations d’Épicure, avec lesquelles il a la plus grande ressemblance. Je n’essayerai pas de nier tout point de contact avec ce philosophe. Beaucoup sont devenus athées au simple aperçu de certains arguments, chez qui un examen plus approfondi aurait au contraire éveillé une conviction profonde de l’existence de l’Être suprême. Les conséquences qu’un esprit dévoyé tire des principes les plus innocents sont le plus souvent fort blâmables, et telles ont été les convictions d’Épicure, bien que son ingénieux système porte la marque d’un grand esprit.

Je ne nierai pas non plus que la théorie de Lucrèce ou celle des prédécesseurs d’Épicure, Leucippe et Démocrite, n’ait beaucoup de ressemblance avec la mienne. Avec ces philosophes, je considère le premier état de la matière comme une décomposition générale des éléments de tous les astres, ou des atomes pour parler comme eux. Épicure supposait une pesanteur qui forçait ces particules élémentaires à tomber, et cette force ne diffère guère de l’attraction newtonienne que j’admets. Il leur imprimait en outre une déviation déterminée en dehors de la direction rectiligne de leur chute, bien qu’il ait fait sur la cause de cette déviation et ses conséquences des hypothèses erronées : cette déviation correspond à peu près à l’altération de la chute verticale que nous déduisons de la répulsion mutuelle des molécules. Enfin les tourbillons qui résultent de cette perturbation du mouvement jouaient un rôle capital dans les théories de Leucippe et de Démocrite et on les retrouvera dans la nôtre. Tant de points de contact avec une doctrine, qui était dans l’antiquité la vraie théorie de la négation de Dieu, ne doivent pas cependant faire regarder la mienne comme complice de leurs erreurs ; même dans les conceptions les plus