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le nu au théâtre

Son maître d’armes, Séranne, fut son premier amant et son fidèle souteneur, « arcboutant de Vénus » suivant l’expression alors à la mode. Tous deux donnèrent des représentations publiques d’assauts à Marseille. Un soir, un spectateur semblait contester le sexe de la Maupin.

— Ce n’est pas une femme, s’écria-t-il.

— Ah ! je ne suis pas une femme, rétorqua-t-elle ? Et cessant l’assaut, jetant son épée à terre, sans honte, sans pudeur, elle dégrafa son plastron et découvrit sa gorge ferme et blanche aux sceptiques convaincus cette fois, et éblouis de cette exhibition tentatrice[1] (fig. 40).

C’est qu’en effet, la chose valait d’être vue. De taille moyenne, mais très bien prise, les seins mignons et placés bas, les épaules d’une ligne harmonieuse, la peau diaphane et délicatement veinée, la Maupin était fort belle. « Les cheveux chatains, dit un contemporain, de grands yeux bleus, le nez aquilin, la bouche belle, les dents fort blanches et la gorge parfaite. » Ses amants savaient à quoi s’en tenir sur le reste.

Possédant, en outre, une rare voix de contralto (appelée alors bas-dessus), elle faisait précéder ses assauts publics d’un intermède de chant : c’est ainsi qu’elle fut remarquée d’un impresario marseillais qui l’engagea. Grisée par un succès de bon aloi, elle fait la connaissance du compositeur Bouvard qui la présente à Francine, le gendre et successeur de Lulli ; Francine la fait débuter à l’Opéra de Paris, où sa beauté et son rare talent furent rapidement appréciés. Elle devint ainsi l’étoile adorée du public, cependant que ses frasques galantes occupaient l’opinion. Ses fugues avec l’électeur de Bavière, avec le comte d’Albert (un des héros du roman de Gautier), alternaient avec ses amours androgynes, notamment sa passion pour la comtesse de Florenzac (probablement la Rosette du roman). Celle-ci étant venue à mourir subitement, la Maupin éprouva le plus grand chagrin, peut-être le seul chagrin de sa vie ; elle entra au couvent. Sa conversion était-elle bien sincère, et la présence de cette novice saphique dans ce chaste milieu ne fut-elle pas celle d’un loup dans une bergerie ? À d’autres de le dire. Quoi qu’il en soit, la superbe cantatrice mourait un beau jour en 1707, en pleine maturité, d’avoir sans doute trop aimé l’amour. « Les invertis sont souvent des mystiques », a dit Jules Claretie après le docteur Bal. Cette observation psychologique semble très justifiée

  1. Les assauts de femmes n’étaient pas rares à l’époque. Un jour, raconte Sauval, la nièce de Mlle Marotie-Beaupré, actrice du Marais, provoqua une de ses camarades Catherine des Urlis, laquelle accepta le défi. Elles attendirent au théâtre la fin de la représentation, puis toutes deux s’alignèrent pour un duel serré nullement chiqué. (Le Mazurier, Gal. Hist. des acteurs du Théâtre-Français, t. ii.) Ajoutons que Sauval ne dit point quel en fut l’issue ni le motif. Ce ne pouvait être que pour une question d’amour-propre et non d’amour, car Robinel, dans sa gazelle versifiée, dit que Mlle Marolle était extrêmement jolie et « pucelle par-dessus ». Bien fol est qui s’y fie !