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le xviie siècle

Le plus célèbre des spectacles à côté qui fut donné au dix-septième siècle est celui qu’offrit le surintendant Fouquet à son maître Louis xiv, en 1691, au théâtre de Vaux. Cette fête qui coûta au premier ministre la bagatelle de 18 millions, fut si fastueuse qu’elle irrita l’orgueil du jeune roi, déjà prévenu par Colbert contre le surintendant, et eut pour conséquence imprévue l’ordre d’arrestation du prévaricateur. La pièce de résistance du spectacle était la comédie-ballet les Facheux, que Molière avait rapidement écrite pour la circonstance : elle n’était pas très au point, si on en croit l’Avertissement de l’auteur, mais elle était précédée d’un prologue de Pélisson, récité par une naïade. Le théâtre représentait un jardin orné de termes et de vingt jets d’eau naturels ; au milieu s’ouvrait une coquille, et la naïade apparaissait, tout juste vêtue de quelques roseaux, ainsi qu’il sied à une néréide soucieuse de la tradition. Au cours de son discours, plusieurs dryades, accompagnées de faunes et de satyres, également vêtus suivant la coutume mythique, sortaient des arbres et des terres.

Cette exhibition eut un succès colossal, on en causa longtemps dans les ruelles des belles précieuses et dans l’antichambre royale. Non point qu’on y vit sujet déshonnête ; mais la naïade qui affrontait ainsi in naturalibus la critique indulgente des seigneurs et jalouse des dames, n’était autre que la fameuse Madeleine Béjart, la mère d’Armande qui devait plus tard rendre Molière si malheureux.

Du reste, on a longtemps discuté sur le point de savoir si cette splendide néréide, assez téméraire pour se présenter toute nue aux yeux de la cour, était Madeleine, qui avait alors quarante-trois ans bien sonnés, ou Armande qui comptait à peine dix-huit printemps. Arsène Houssaye s’arrête à cette dernière version. Pour lui cette océanide, cette statue de chair serait Armande, toute nue, à peine drapée d’un lambeau de tunique, partant de l’épaule, tombant sur le bras et retombant sur la hanche ; « en un mot, un peu plus nue que si elle était toute nue, d’autant plus nue qu’elle porte un collier de perles et de bracelets ; on peut supposer d’ailleurs que ces bijoux ne sont là que pour masquer les lignes du maillot. Ce maillot, s’il y a eu un maillot, était fort transparent, puisqu’il permettait de voir la fleur irisée des seins et le point noir du nombril, cet œil du torse, selon Ingres ».

D’après les seuls textes historiques, il est bien difficile de décider si c’est la mère ou la fille qui servit de régal royal à la cour. D’une part, La Fontaine écrit à Maucroix, pour lui parler de cette adorable apparition :

D’abord, aux yeux de l’assemblée,
Parut un rocher si bien fait
Qu’on le crut rocher en effet.