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le xviie siècle

Mélite et la veuve. Dans la Galerie du palais, la nourrice fut supprimée : la suivante (soubrette) fit son apparition. Mais l’usage des rôles féminins tenus par des hommes ne disparut pas soudain. Molière le remit en vigueur : la plupart des rôles de duègnes furent confiés à des acteurs de sa troupe ; celui de Mme Pernelle, entre autres, dans Tartufe, fut établi par Aubert, et repris plus tard par Mlle Beauval.

En réalité, ce n’est qu’en 1633 que Mlle Beaupré, artiste de la troupe du Marais, osa, la première paraître sur la scène dans un rôle de femme, et ce n’est que le mardi 15 avril 1681, que dans un ballet de Lulli, le Triomphe de l’amour, la ballerine de La Fontaine parut à l’Académie de Musique. Jusque là les rôles de danseuses étaient tenus par de jeunes garçons masqués et déguisés en nymphes. Quant aux rôles de chant, ils furent longtemps l’apanage des hommes ; dans les opéras mythologiques, les divinités malfaisantes, Furies, Envie, Discorde, etc., étaient du sexe fort et possédaient une voix de basse-taille. Lulli écrivit pour voix d’homme le rôle de la Haine, dans Armide et Renaud ; bien plus tard, Rameau composa pour un ténor et deux basses le trio des Parques dans Hyppolyte et Aricie[1].

Le puritanisme anglais s’accommodait fort, de l’autre côté de la Manche, de cette coutume ; aussi, sous Charles ii, pas d’actrices, rien que des acteurs. Apparemment, le personnage énigmatique d’Hamlet fut conçu sous l’empire de ces mœurs théâtrales : l’irrésolu de son caractère, son aboulie, ses ruses, sa philosophie inquiète, ses hallucinations, sa double personnalité, l’indécision que l’on garde sur son sexe mental, en dépit de son amour pour la tendre Ophélie, ont peut-être été inspirés à Shakespeare par l’équivoque troublant des travestis féminins de la scène anglaise.

Toutefois, en France, si l’Hôtel du Marais et celui de Bourgogne hésitaient à consacrer les actrices, d’autres scènes, — ce que nous appellerions aujourd’hui les théâtres à côté, — montraient plus d’audace. D’abord, les Mystères et Miracles empruntaient aux deux sexes, comme par le passé, et, là encore, le nu paraissait indispensable pour la vérité de la mise en scène. La Chaste et vertueuse Suzanne, de François Auffray (1614), nous montre toujours la jeune personne en costume d’Ève, subissant l’assaut des deux vieillards, qui, paraît-il, n’avaient pas atteint « l’âge heureux de l’impuissance ».

La tragédie de Sainte Agnès, de Pierre Trotterel d’Aves, repré-

  1. Parfois, c’est l’inverse qui eut lieu : une fille jouant des rôles d’homme, ainsi qu’il advint à Amsterdam, en 1688, dans un opéra français auquel assistait Maximilien Misson.

    À notre époque, un rôle de femme est quelquefois interprété par un acteur : dans Maman Sabouleux, de Labiche, Grassol faisait une nourrice, afin de rendre le personnage plus comique.

    Signalons, en outre, un bizarre incident qui survint à la fête traditionnelle de Jeanne d’Arc à Orléans, en 1819. La jeune fille qui figurait la Pucelle fut prise des douleurs de l’enfantement au moment de paraître en public ! Force fut de recourir à un Puceau.