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le décolletage dans la salle

Sur le dos d’une chaise, où deux pieds haut perchés
Écartaient, sans façon, les côtés d’une robe,
On voyait à loisir ce qu’aux yeux on dérobe,
Objets que la pudeur veut qu’on tienne cachés.
Une femme pourtant, au caractère d’homme,
Semblait alors montrer avec un froid dédain
Que tout son corps, au moins, était bien féminin.
Cette impudique femme était Christine, en somme !
« C’est malséant, malpropre, allons, cachez-nous ça ! »
Lui criait-on de partout dans la salle.
Christine bravement, d’un air que rien n’égale,
Écoutant ces clameurs, plus fière se dressa.
Alors d’un groupe un léger projectile
Vola tout droit à l’endroit malséant ;
De suite il est repris et fut, en maugréant,
Sur le groupe lancé par une main fébrile.
Après les cris, le brouhaha,
Le cotillon se détroussa ;
Subitement tout s’apaisa,
Et le spectacle commença…
Reine, faut-il qu’ici je te rappelle
Qu’on peut, en découvrant sa chair,
Sans choquer la pudeur, pendant les froids d’hiver.
Faire devant son feu sa petite chapelle ?

Le protocole de Guillaume ii aurait quelque raison de se trouver offusqué si, dans un gala impérial, une de ses invitées se permettait de telles privautés !

Mmes Tallien, de Staël et Raguet étaient moins impudiques, au dire des Goncourt : elles ne découvraient que le haut. « La Tallien, se montre ce soir (décembre 1796), à l’Opéra, la gorge enserrée dans une rivière de diamants ; le diamant, en sa chaîne ondulante, côtoie les seins d’un contour d’étincelles, mettant comme une rampe de feu à ces orbes proconsulaires ; il s’abaisse, il se relève à chaque battement du cœur faisant jaillir sur la peau mate mille étoiles enflammées : c’est le cartouche, — ainsi est baptisée cette ceinture de Vénus remontée ; — et Mme Tallien défie Minerve et Junon, Mme de Staël et Mme Raguet. Cette Mme Kaguet resplendit au théâtre, le buste entier cuirassé de diamants. »

Bien avant ce décolletage agréable, le décolletage utilitaire fit fureur à l’Opéra. Lors de l’apparition d’Émile, la mode de l’allaitement maternel battit son plein et exigea que les belles dames se fissent apporter leurs petits enfants, pendant les entr’actes, au fond des loges, pour leur donner à téter. Cet engouement fut de courte durée.

Il y eut, au dix-huitième siècle, un théâtre qui avait la spécialité d’un public féminin très décolleté : c’était celui créé par la Montansier, — qui ne se rappelle la comédie La Montansier jouée récem-