Page:Witkowski, Nass - Le nu au théâtre depuis l'Antiquité jusqu'à nos jours, 1909.djvu/20

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
18
le nu au théâtre

à les admirer et à les posséder, alors que, souvent à son insu, il partage cette faveur avec des co-occupants de la belle. La décence est presque une vertu nationale.

Ce ne fut pas le cas de la reine Christine (fig. 9), étrangère fameuse par ses frasques et ses lubies, au demeurant une femme de beaucoup d’esprit mais de peu de tenue.

« Cette princesse, dit Dreux du Radier, étant un Jour à la comédie avec la reine Anne, mère de Louis xiv, s’y tint dans une posture si indécente qu’elle avait les pieds plus hauts que la tête ; ce qui faisait entrevoir ce que doit cacher la femme la moins modeste.

« La reine mère dit à plusieurs dames qu’elle avait été tentée trois ou quatre fois de lui donner un soufflet et qu’elle l’aurait fait, si ce n’eût pas été en lieu public. Mademoiselle (Mlle de Montpensier), qui ne l’aimait pas, parce que cette reine des Goths, disait-elle, n’avait pas jugé à propos de lui rendre la visite qu’elle lui avait faite, dit aussi qu’elle la trouva un jour à la comédie, habillée en homme, à l’exception de la jupe, un chapeau sur la tête, et les jambes en l’air croisées l’une sur l’autre, assise dans un fauteuil au milieu de la salle de spectacle[1]. »

Le ténor Duprez[2] a versifié l’incident :


Le théâtre étant plein, chacun braquait sa vue
Fort curieusement sur un fauteuil royal ;
Une femme y trônait, d’un aplomb sans égal,
Exposant aux regards une chose incongrue…
Qu’était-ce donc ? D’aucuns riaient,
D’autres plus pudibonds sifflaient,
Toutes les femmes se voilaient ;
La salle entière était diversement émue.

  1. Cette célèbre reine professait une affection toute particulière pour le costume masculin, ce qui lui donna une réputation, sans doute usurpée, d’androgyne. Elle présentait peut-être quelque anomalie sexuelle, il n’est point probable, comme le répète dans un mémoire Ancelot de la Houssaie, que son médecin Bourdelot et son chirurgien Sorceau « aient fait tous deux leur fortune avec elle, en sauvant les apparences de sa virginité par des remèdes abortifs ». Pour compléter son portrait, citons ces quelques lignes extraites d’une lettre contemporaine, conservée à la Bibliothèque Harlayenne : « C’étaient, du reste, sa tenue et son costume habituels. Sa taille est tout à fait irrégulière ; elle est voûtée ; elle a une hanche hors d’architecture ; elle boite ; elle a le nez plus long que le pied, les yeux assez beaux, mais elle n’a pas la vue bonne ; elle rit de si mauvaise grâce, que son visage se ride comme un morceau de parchemin que l’on met sur des charbons ardents ; elle à un sein plus bas que l’autre d’un demi-pied et si enfoncé sous l’épaule qu’il semble qu’elle ait la moitié de la gorge absolument plate ; elle n’a pas la bouche laide pourvu qu’elle ne rie point ; elle n’a pas soin de ses dents ; elle pue assez honnêtement pour obliger ceux qui s’approche à se précautionner et à se parer de la main. »
  2. À l’occasion de la décoration de ce ténor, en 1865, Ernest d’Hervilly fait allusion à son ut de poitrine qui n’avait pas été donné avant lui à l’Opéra.


    Duprez, l’ancien ténor, a reçu pour cadeau
    Un tout petit ruban de couleur purpurine
    La décoration que porte sa poitrine
    Il l’a gagnée avec son do