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énorme. Bien que, sur l’ordre de son cornac, elle se fut gracieusement agenouillée, il a fallu une échelle pour atteindre le sommet de son gros dos noir. Elle monte avec lenteur et prudence, flairant de sa trompe les pavés plus ou moins solides, souvent déplacés par le torrent des averses. La sensation éprouvée est la même que celle ressentie sur un navire au milieu d’une tempête : roulis et tangage. Elle descend avec plus de précaution encore. Après nous avoir déposés à l’ombre d’un tamarinier, elle demande à grands cris et avec force salams de la trompe, son morceau de sucre. « Très bien, Maïna, en voici pour cinq paisses. C’est peu pour ton tonneau ; il en faudrait bien davantage pour le remplir. »

L’architecture, les décors des différents corps de bâtiments et des salles, des chambres et des corridors de ce château et de ses dépendances sont les mêmes que ceux admirés ailleurs aux Indes. Dispensons-nous de les décrire ; ce serait répétition oiseuse. Qu’il me suffise de dire que rien de plus beau dans le genre ne saurait sortir de la main de l’homme.

Avant de partir, nous passons au temple du château. L’autel du sacrifice et le grand couteau, dont le prêtre s’est servi et se sert chaque jour, sont encore maculés du sang du petit chevreau immolé tout à l’heure à la terrible déesse Kali. Elle est sensée satisfaite pour aujourd’hui. Depuis un siècle, elle est moins exigeante ; elle se contente maintenant du sang des animaux ; autrefois, il lui fallait des sacrifices humains, du sang d’enfants, de jeunes filles. C’est John Bull qui lui a fait passer cette horrible fantaisie. Les marches de l’escalier par lequel nous descendons sont tachetées de gouttes de sang de la victime, apportée par les prêtres, après l’offrande sur l’autel du monstre. Je m’étais fait à l’idée que l’idolâtrie était chose du passé. Hélas ! plus des trois quarts de l’Orient adorent les bêtes et des dieux grossiers, obscènes, immondes, taillés plus grossièrement encore dans le métal, la pierre et le bois.