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mort du mari la veuve se fît brûler vivante sur le bûcher qui consumait ses restes.

Nous atteignons les ghats, sur la rive du Gange. À la tête d’un immense escalier d’une cinquantaine de marches qui descend au fleuve, un fakir est assis dans sa niche, devant laquelle brûle un petit feu de bouse de vache sacrée. Il a la chevelure de son baptême, toison que le peigne n’a jamais démêlée ni les ciseaux coupée. Il est simplement vêtu du pagne et d’une forte couche de la boue du Gange, boue dont il s’enduit chaque jour et qui, sous le soleil de feu, a bientôt fait de sécher et de teindre son cuir d’ébène en gris souris. À travers la broussaille de sa tignasse et de sa barbe qui se confondent, on voit briller deux yeux noirs, perçants. C’est le saint homme de la religion hindoue que les pèlerins vénèrent et consultent. Il leur distribue les bénédictions et les malédictions, les bonnes et les mauvaises fortunes. Ces fakirs sont des imposteurs qui spéculent sur la crédulité des bonnes gens. J’avais vu la photographie d’un de ces bonshommes qui, dit-on, passait ses jours et ses nuits sur un lit de pointes d’acier, et j’étais impatient de voir ce martyr, j’ai été déçu dans mon attente. Ce rusé copain recueillit assez d’aumônes pour s’acquérir un domaine et un château à huit milles de Bénarès ; il s’est retiré de la profession de martyr. « Mais le lit planté de clous est là-haut, si vous désirez le voir, » me dit le guide. Je vis le lit ; j’en détachai même un clou ou deux et en examinai les pointes. Il n’y a ni magie ni miracle en cette affaire. Les clous sont plantés en rangs si serrés qu’ils forment une surface suffisamment compacte pour protéger l’épiderme et ne pas le perforer, ni même l’égratigner. Il ne devait pas être confortablement, tout de même, sur ce grabat, mais l’on s’habitue à tout, et l’on finit par s’endurcir. J’aurais voulu voir le bonhomme, causer avec lui ; il doit être un gai luron, ce farceur !

Sur les marches du grand escalier qui descend au fleuve sacré, un jeune homme, dans la vingtaine, joue de la flûte à un auditoire de huit serpents de couleurs et de