l’appareil sur les deux oreilles, nous entendons des messages expédiés de quatre cents milles, messages qu’il déchiffre pour nous.
La distance de Singapour à Pénang, par mer, est d’environ quatre cents milles ; de Pénang à Rangoon, sept cent cinquante milles, et de Rangoon à Calcutta, huit cents milles.
Je ne sais si je vous ai raconté cette bonne blague à propos de la grande chaleur qu’il fait à Rangoon. Quand quelqu’un meurt, à Rangoon, dit-on, on met son paletot dans son cercueil, au cas de besoin en enfer où il fait moins chaud qu’en ce doux pays, au dire des connaisseurs !!!
23 février — À deux heures du matin, nous sommes éveillés par un bruit sourd de chaînes qui grincent sur l’acier. Nous jetons l’ancre à l’entrée de la rivière Rangoon, l’une des nombreuses bouches par lesquelles l’Irrawaddy se déverse dans la mer qu’elle salit de sa boue infecte, jusqu’à cinquante milles au large. À cinq heures, même bruit sourd ; nous levons l’ancre et remontons le courant, à petite vapeur, sous la direction d’un pilote lamaneur. Cette rivière est capricieuse : fond de sable mouvant et courants variables.
Il faut voir ce nouveau pays ! Les talons bien enfoncés dans le matelas spartiate de la cabine, je passe, en boulet de canon, la tête à travers le hublot. Je regarde à droite, à gauche ; autant de hublots, autant de têtes qui apparaissent, plus ou moins échevelées, selon le sexe et les accidents de la calvitie. Il y a quelques crânes, billes de billard, qui ont des reflets de conques marines, sous les rayons indiscrets du soleil matinal et tropical. La cabèche de droite est une mousmé de Tokio, une Vénus de poche, pocket Venus comme l’appelle l’Anglais. Elle n’est pas belle, la voisine, ce matin ! avec ça qu’elle n’est guère mieux le midi et le soir ! C’est drôle de voir toutes ces têtes qui sortent, rentrent, jouent à cache-cache. En face : la côte basse, des pagodes, des pagodes, encore des pagodes rondes et pointues ; enfin apparaît la ville de Rangoon, dominée par une forêt de pagodes que