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et ses filles portent le blanc, coton ou soie, et beaucoup de couleurs, toute la gamme de l’arc-en-ciel, et aussi la culotte bouffante. Cet accoutrement, lavé dans le ruisseau et saucé dans un baril d’empois, est raide comme bardeau. Ô crinoline ! tu n’es pas encore du passé !

Ces filles d’Ève se couvrent la tête et la nuque d’un capuchon en cône tronqué, qui s’allonge sur le cou jusqu’aux épaules, comme les deux ailes d’une dinde en mal de couver. Ce phénomène occipital, bordé de fourrure, est ceint de cordons de couleur criarde qui se nouent en pompon sur le front. Elles vous regardent comme ça avec un air de m’as-tu-vu délicieux, épatant ! Cette mascarade vit, grouille et meurt dans des huttes en terre recouvertes de chaume, de véritables champignons. Ces taudis qui rappellent les gourbis d’Afrique, sont chauffés avec des broussailles et des herbes desséchées recueillies dans la montagne et portées à dos d’hommes, de femmes, d’enfants ou de bœufs. Car, depuis l’occupation, les Japonais reboisent les montagnes de petits pins qui n’atteignent pas trois pieds de hauteur. Il est interdit de couper ce bois. L’appareil de chauffage n’est pas compliqué : un trou dans le flanc du solage d’argile. On y fourre les broussailles ; on y met l’allumette ; la chaleur et la fumée passent sous le plancher et sortent par un orifice du côté opposé, faisant ainsi de la hutte un four à jambon.

Sur ce plancher enfumé, le Coréen s’accroupit, mange, dort, élève sa famille, vit et meurt. Alors, pour couronner cette triste existence, le prêtre bouddhiste récite sur le défunt les prières exorcisantes et ordonne qu’il soit enfoui là-bas, au flanc de la montagne, à dix milles quelquefois, afin de rompre tout lien qui pourrait encore le rattacher aux biens de ce monde et aux mauvais esprits. Les parents, les amis, armés de pics et de pelles, creusent à l’endroit indiqué par le prêtre un trou quelconque dans lequel dormira à jamais ce fier rejeton de trois mille ans d’ancêtres. Une butte en dos d’âne indiquera l’endroit du suprême repos ; rien de plus. S’il laisse quelque bien, ses héritiers reconnaissants couvriront sa tombe d’une