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L’APPEL DU CHIBOUGAMAU

Il m’est impossible de décrire la scène que je vois aussi bien qu’aurait pu le faire George Borrow, à mon avis, le plus grand de tous les écrivains quand il parle de voyages. Je lui emprunte donc quelques lignes de son « Wild Wales » (le pays sauvage des Galles),

« L’endroit offre un cadre étonnant de solitude ; mais sans tristesse ni horreur. On dirait le site rêvé où quelque personne pensive et lasse, mais nullement aigrie par le tourbillon de l’existence, pourrait s’installer, jouir de quelques innocents plaisirs, faire sa paix avec Dieu et ensuite se préparer tranquillement pour le sommeil définitif ».

Le Chibougamau me parut à cette époque l’endroit idéal pour m’enfoncer dans l’oubli. Je suis un homme pensif, ami des livres ; un peu las parfois mais non aigri. Peut-être quelque peu angoissé devant la scène trop bruyante du monde. C’est pourquoi j’aspire à la solitude, mais non pas à l’isolement absolu. Qu’on me donne la compagnie d’un foreur, d’un coureur de brousse ou d’un trappeur, de n’importe qui me permettant d’échanger un « bonjour » ou « bonsoir » et je serai satisfait. Je n’éprouve point le besoin de la conversation inepte d’un mondain pour combler le vide de mes jours, car j’ai en puisant dans mes livres toujours devant moi, les testaments spirituels des plus grands génies de tous les temps.

Je n’ai qu’à étendre la main vers la solide armoire de bois, placée au chevet de ma couchette pour me trouver tout de suite en compagnie de « Lord Jim », ou d’ « Hamlet », ou du « Dr. Johnson », ou de « Heine » ou de « Mencken », ou de « Tchékov » et de cent autres nobles esprits. Le babillage insignifiant des sots habitants des grandes villes ne m’a jamais particulièrement attiré.

Au crépuscule, les tentes sont dressées. Nous sombrons peu à peu dans l’inconscience, le murmure des