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L’APPEL DU CHIBOUGAMAU

disparaît, les arbres deviennent rabougris, les maisons, dont la peinture a pelé, semblent galeuses. Un seul endroit surpasse Noranda en laideur : c’est l’usine d’aluminium d’Arvida, près de Chicoutimi. Elle représente à mon humble opinion le dernier mot de la hideur architecturale.

Et je me demandais : Est-il possible que le magnifique Chibougamau, paré des splendeurs virginales de ses forêts et de ses cours d’eau, doive partager un jour ce sort-là ? Hélas ! il faut le craindre : c’est la rançon du progrès.

Lorsque les mines entreront en pleine production au Chibougamau, les résidus de minerai ramenés à la surface seront probablement jetés dans le lac aux Dorés. Ces résidus (tailings) contiennent une forte proportion d’acide. Rapidement, les eaux deviendront empoisonnées et tourneront, du vert émeraude qui les caractérisent en ce moment, à la grisaille qui exsude la mort ; car tout mourra : les poissons et leurs œufs, les merveilleuses plantes aquatiques, les grands cèdres qui baignent leurs racines le long des berges.

Un peu plus tard, la fonderie s’érigera pour parachever la tuerie. Ses sinistres cheminées dégageront des exhalaisons sulfuriques, et la forêt entière succombera : les sapins, les épinettes, les bouleaux, les peupliers, la mousse, les fleurs sauvages, les massifs de bleuets et de framboises. Tout ce qui croît ! Alors, le vison, la loutre, le castor, l’ours et l’orignal abandonneront ce lieu maudit ; les oies et les canards sauvages survoleront le Chibougamau sans s’y poser. Tout ne sera que désolation. Il y faudra des années, mais cela viendra.

— « Oui, c’est la rançon du progrès », me répétait tristement le docteur Bainville, de Saint-Félicien.

Dès mon retour à Montréal, je rassemble l’équipement nécessaire en vue des opérations de l’été suivant. Mes