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L’APPEL DU CHIBOUGAMAU

Le gardien se gratte la tête d’un air songeur :

— Vous avez peut-être raison dit-il enfin : mais ça fait quarante ans que nous entendons la même chanson et il n’en est jamais rien sorti, je veux dire rien de vraiment bien important.

— Y a-t-il des voyageurs ? dis-je enfin.

— Aucun. La route est à vous. Je ne crois pas que vous rencontriez âme qui vive, à moins que ce ne soient des ouvriers travaillant sur la route. — Tandis qu’il remplit la formule du permis de circuler, sa femme rondelette et sympathique, apparaît, portant dans ses bras une fillette joufflue. Je tends à l’enfant une tablette de chocolat, qu’elle grignote sans tarder, tout en me remerciant d’un sourire rayonnant. Chaque fois que par la suite, je me présentai à cette barrière, je tenais toute prête quelque friandise, car l’enfant accourait toujours, la main tendue. (Quelques mois plus tard, sa mère me dit que la fillette lançait des injures enfantines à chaque automobiliste qui passait sans lui donner de sucrerie.) — Comme quoi il arrive que le Mal sort parfois du Bien !

Le gardien m’ouvre la barrière, et je file sur la longue route solitaire. Quelques milles plus loin, je franchis une autre barrière — celle-là ouverte — et j’apprends par une affiche, que je viens de pénétrer dans la réserve de gibier du Chibougamau. Territoire protégé par la loi, mesurant 90 milles de long sur 20 de large, et que traverse en entier le chemin que je poursuis. La maison du gardien paraît déserte et une tranquillité un peu triste environne l’endroit. Je ne m’y arrête point et appuie sur l’accélérateur : Direction nord-ouest… les milles s’ajoutent aux milles et, comme aucun poteau indicateur n’existe à cette époque, je mesure la distance parcourue au moyen du compteur de la voiture. Route de gravier en état parfait, jusqu’au Lac