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LE VIEUX MOULIN

éteintes par une bordée de neige ! Une poudrerie au mois d’août ! Voilà bien le Chibougamau. Et ce jour-là même, j’avais refroidi un consommé, pour le manger en gelée, sur ma véranda ! Comme vous voyez, c’était vraiment du froid. Si vous aimez votre température apprêtée de 57  façons différentes, allez au Chibougamau.

Au début de septembre, il y eut relâche de visiteurs et je demeurai seul plusieurs jours à Rainbow Lodge. Comme j’en profitais pour mettre la dernière main à ce volume, je m’aperçus soudainement que je me posais des tas de questions. C’était un signe que je commençais à être « désorienté ». (En 1920, après avoir servi trois années sous le feu, dans l’armée Impériale de Kitchener qui se battait dans les Flandres, j’étais devenu si nerveux que je commençais à me demander si j’étais sain d’esprit. J’allais consulter un psychiatre anglais qui me répondit en riant : « Vous êtes fou si vous répondez aux questions que vous vous posez. ») Je n’en étais pas encore à ce point et, afin de ne pas y parvenir, je partis pour Saint-Félicien, où je savais qu’il y avait de la bière froide en fût et que je pourrais m’assainir le système.

Lorsqu’une personne se sent un peu loufoque, cela est dû souvent à un trop long séjour dans la forêt. Certains hommes ressentent ce malaise au bout de quelques jours seulement, tandis que d’autres peuvent demeurer dans les bois durant des années avant d’en ressentir les effets. Il n’y a pas deux êtres qui réagissent de la même façon à ce phénomène : certains deviennent mélancoliques, d’autres bruyants, d’autres se contentent de regarder dans le vide…

J’ai rencontré, au Chibougamau, plusieurs types ainsi « désorientés » (Les Anglais disent «  bushed », terme emprunté à l’Australie, et signifiant « égaré » dans la brousse : ils l’appliquent au sens figuré), avant que moi-