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L’APPEL DU CHIBOUGAMAU

refusai, d’autant plus qu’il avait le sien. Je lui dis de l’utiliser, s’il désirait se suicider. Il tira, de son intelligence lilliputienne, des arguments pour m’emprunter mon esquif au lieu de prendre le sien, puis finit par s’endormir en ronflant plus fort que les rapides. Le lendemain matin, il avait l’air d’un mouton lorsque je lui demandai s’il désirait toujours tenter cet exploit).

Un jour de la fin de l’été, à l’aube, un canot vint aborder à notre quai, aussi silencieusement qu’un fantôme. Deux Indiens se tenaient agenouillés dans le fond de la frêle embarcation, c’est la position classique des pagayeurs. L’un des sauvages sauta légèrement sur le sol. C’était un pur Montagnais haut de six pieds, avec des pommettes saillantes, des cheveux d’un noir de corbeau, un torse droit et puissant. Il ne parlait que le français.

Il m’explique qu’il avait entendu dire que j’avais besoin de bois de chauffage et qu’il désirait le fendre. J’indiquai un massif de bouleaux et lui dis la longueur des bûches requises pour notre fourneau et nos poêles. Il baissa la tête, grogna et dit « Oui ». J’ajoutai que je lui donnerait vingt-cinq dollars pour couper, fendre et empiler cinq cordes de bois. Il grogna de nouveau et fit un signe affirmatif de la tête. Ensuite il signala du bras à son frère, lequel plongea soudainement sa pagaie dans l’eau, fit virer le canot et s’éloigna. Lorsque je demandai à l’Indien si son frère viendrait le chercher plus tard, il répondit : « jeudi ».

Le jeudi, soit trois jours plus tard, il avait terminé sa besogne, mais son frère ne se montra pas, ni le lendemain, ni le samedi. Quand je lui demandais si son frère avait vraiment l’intention de se présenter, il haussait les épaules, souriait, pénétrait dans sa petite tente, s’étendait sur une pile de couvertures et s’endormait, ne se levant qu’à l’heure des repas, pour retourner immédiatement après vers sa tente.