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Elle s’arrêta un moment, et lorsque nous fûmes de nouveau dans le jardin, elle dit :

— Mon ami, vous disiez que vous vous demandiez ce que j’aurais été si j’avais vécu à cette époque passée d’agitation et d’opposition. Je crois avoir étudié son histoire et la connaître assez bien. J’aurais été au nombre des pauvres, car mon père, lorsqu’il travaillait, était un simple cultivateur. Eh bien, je n’aurais pas pu le supporter ; aussi ma beauté, mon intelligence, mon éclat (elle parlait sans rougir ni sourire de fausse honte) auraient été vendus à des hommes riches, et ma vie aurait été perdue, car j’en sais assez là-dessus pour savoir que je n’aurais pas eu de choix, ni aucun pouvoir de direction sur ma vie, et que je n’aurais jamais acheté aux hommes riches ni plaisir, ni même occasion d’agir par où j’aurais pu me procurer quelque émotion sincère. J’aurais fait naufrage et me serais perdue d’une manière ou d’une autre, soit par misère, soit par le luxe. Est-ce bien cela ?

— Oui, c’est cela, dis-je.

Elle allait dire autre chose, lorsque s’ouvrit dans la bordure une petite porte qui conduisait à un champ ombragé d’ormes, et Dick, joyeux et vif, monta l’allée du jardin et fut bientôt entre nous, une main sur l’épaule de chacun. Il dit :

— Eh bien, voisins, je pensais bien que vous aimeriez, tous deux, voir la vieille maison tranquillement, sans une foule dedans. N’est-ce pas un bijou de maison dans son genre ? Eh bien, venez, l’heure du dîner s’approche. Vous,