Page:William Morris - Nouvelles de Nulle Part.djvu/155

Cette page a été validée par deux contributeurs.

duits, et toujours plus de produits, qu’ils en eussent besoin ou non. Ainsi, tandis que, bien entendu, ils ne pouvaient s’affranchir de la nécessité de fabriquer pour les nécessités réelles, ils créaient une série indéfinie de nécessités factices ou artificielles, qui devint, sous la loi de fer du susdit marché mondial, égale en importance aux nécessités de la vie. Par là, ils se surchargèrent d’une prodigieuse masse de travail, uniquement pour maintenir leur misérable système.

— Oui, et alors ?

— Eh bien ! alors, comme ils s’étaient obligés à chanceler sous cet horrible fardeau d’inutile production, il leur devint impossible de considérer le travail et ses résultats à un autre point de vue que celui-ci : l’effort incessant pour dépenser sur chaque article la plus faible somme possible de travail, et en même temps pour fabriquer autant d’articles que possible. À cette « production à bon marché », comme on disait, tout était sacrifié. Le bonheur de l’ouvrier dans son travail, ou plutôt son confort le plus indispensable, sa santé même, sa nourriture, ses vêtements, son logement, son temps, son plaisir, son éducation — bref, sa vie — ne pesaient pas un grain de sable dans la balance, comparés à cette affreuse nécessité de « produire à bon marché » des objets, dont une grande partie ne valaient pas la peine d’être produits du tout. Oui, et on raconte, et il faut le croire, si accablants sont les témoignages, — bien que beaucoup, aujourd’hui, ne puissent pas le croire, —