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L’ÎLE AU MASSACRE

tout seul, à gorge déployée, faisant faire à son ventre une danse endiablée.

Lafleur, un autre type en son genre, demanda d’un air timide :

— Et c’est pour quand, la noce ?

— Aussitôt après que les canots seront arrivés. J’en ai déjà parlé au Révérend Père Aulneau. Il m’a dit que je faisais bien et qu’il en parlerait à Monseigneur de Lavérendrye.

— Mais pourquoi en parler au maître, demanda Beaulieu en avançant une trogne dont le nez écarlate jetait des éclairs. C’est pas lui qui va se marier avec Fleur-des-Pois.

— Fleur-d’Aubépine, hurla Amiotte. En ont-ils une drôle d’idée d’écorcher ainsi les noms !

Beaulieu était un de ces hommes que l’on rencontre dans toutes les sociétés. Jamais satisfait, il trouvait à redire à tout. Peu parleur, il était de ceux qui ruminent toujours quelque chose dans leur cœur. C’était un terrain prêt à recevoir le mauvais grain de la révolte ou de la mutinerie, Cela lui était arrivé une fois déjà, cinq ans auparavant. Depuis, il avait été sage, maîtrisé par l’autorité de Lavérendrye. Il se contentait d’être mauvaise langue à ses heures.

— Qu’il s’occupe de son fils, s’il veut mettre son nez dans les mariages.

— Dis donc, fit remarquer La Londette, tu pourrais être un peu plus respectueux.

Beaulieu ne prit pas garde à l’observation de son camarade. Il était lancé. Quelque chose lui démangeait la langue. Il continua.

— Au lieu de s’occuper des intentions matrimoniales d’Amiotte, il ferait mieux de surveiller Pâle-Aurore qui se morfond depuis que Jean-Baptiste nous a quittés. Quand par hasard elle parle, elle est toujours à nous demander de lui raconter les exploits du fils aîné du chef. Si elle l’aime, elle fera bien de faire attention à sa sœur Rose-des-Bois…

— Sans oublier Cerf-Agile qui semble aussi beaucoup aimer Pâle-Aurore. Quand l’Indien est parti au fort Maurepas avec le cousin et les deux frères, je les ai surpris qui causaient à voix basse dans un coin…

Rose-des-Bois venait d’apparaître sur le seuil de la maison du commandant. La Londette la vit. Son instinct lui fait flairer un danger si l’on continuait à parler. Il bouscula les bavards.

— Ce n’est pas en restant ici que nous attraperons de quoi manger. Allez chercher les filets qui sont au magasin et venez nous rejoindre aux canots… Tu viens, Amiotte ?

Celui-ci empoigna le panier que tenait La Londette. Il caressa un peu Fleur-d’Aubépine qui sourit, et cria aux Indiens :

— Allez vous autres, laissez vos pipes de côté et venez nous aider.

Les squaws assises autour du feu se rapprochèrent les unes des autres. Impassibles, elles regardèrent les hommes s’éloigner. Une sentinelle ouvrit la porte du fort qui se referma en gémissant. Sous la chaleur du foyer le bois sec se tordait et se plaignait.

La petite troupe, sous la direction de La Londette franchit rapidement l’espace qui séparait le fort Saint-Charles du lac des Bois. Deux canots couchés sur le flanc dormaient au soleil. Quatre poignes vigoureuses les jetèrent à l’eau. Amiotte, La Londette et quelques compagnons montèrent dans l’un d’eux. Bourassa, Beaulieu suivis de Marion, Doucette et Lépine montèrent dans l’autre.

Les canots glissèrent lentement vers le large. De nombreuses îles saupoudraient les eaux du lac. Pour rendre la pêche plus fructueuse et plus sûre, La Londette décida que chaque canot irait de son côté.

— De cette façon nous aurons peut-être une chance d’attraper quelque chose.

Debout, drapé dans son filet, il semblait le dieu du lac. Le chapeau enfoncé sur les yeux, il scrutait les eaux tranquilles, attentif au moindre indice qui put révéler la présence du poisson. Tout à coup son bras droit s’éleva lentement pour redescendre et remonter encore. Le canot ralentit puis s’immobilisa. Les hommes étaient muets. Tous suivaient le regard de La Londette. Amiotte sentit son cœur battre à coups précipités. Le filet fut lancé avec force. Il plana un instant puis s’abattit voracement sur l’eau où il enfonça ses milles tentacules et jeta la panique au milieu des poissons.

— Allons, dit La Londette, en retirant le filet dont les mailles trop tendues menaçaient de se rompre, voici une autre pêche