Page:Willaume - L'île au massacre, 1928.djvu/72

Cette page a été validée par deux contributeurs.
70
L’ÎLE AU MASSACRE

Pierre resta un moment songeur. Sa mère avait raison sans doute. Et qui sait si après avoir recouvré la santé, Pale-Aurore, guidé par l’esprit de Jean-Baptiste, n’arriverait pas à l’aimer !…

— C’est entendu maman. Dès qu’elle sera en état de faire le voyage nous repartirons.

— Nous le lui dirons, et nul doute que cette perspective de retrouver sa prairie ne l’aide à refaire ses forces.

Marie-Anne, fille aînée de Madame de Lavérendrye venait d’entrer.

— Et Pâle-Aurore ? demanda-t-elle

— Catherine est auprès d’elle. Elle a beaucoup toussé, la chère enfant.

— Je vais les rejoindre et savoir si l’on a besoin de mes soins.

— Oui, va.

Pierre regarda sa sœur disparaître.

— Père serait heureux, dit-il, de voir comme on l’aime ici.

— C’est le moins qu’on puisse faire pour elle. Elle a tant d’affection pour nous. Et puis elle attire le respect. Il y a tant de noblesse dans ses traits, tant de beauté dans son attitude si douce !…

— Maman, appela Marie-Anne, Pâle-Aurore se sent mieux. Elle voudrait venir au salon parler un peu avec vous.

— Qu’elle vienne !

Madame de Lavérendrye se leva et arrangea près de la fenêtre un lit de jour qui se trouvait au milieu du salon. Elle activa les cendres qui sommeillaient dans la cheminée. Une flamme s’éleva, pâlissant devant les rayons du soleil qui, par la fenêtre, sautaient dans la chambre.

— Il me semble que votre projet est en voie de réussite, maman.

— Je le désire vivement.

Comme pour fêter Pâle-Aurore, les oiseaux chantaient avec allégresse. La jeune fille apparut soutenue par Anne et Marie. Elle était vêtue d’une longue robe blanche. Ses nattes traçaient deux lignes noires qui s’arrêtaient au delà de la taille. Ses beaux yeux fatigués souriaient tristement. Elle avait bien changé ! Où était la jeune fille d’autrefois ? Son corps délicat et cependant plein de santé et de vigueur dans la plaine était miné, hélas, par le chagrin et par la maladie. Sa taille si droite s’était légèrement voûtée et sa main, par instant venait comprimer sur sa bouche une toux qui déchirait sa poitrine. Depuis la mort de Jean-Baptiste elle n’avait cessé de songer à lui. Elle l’avait aimé avec toutes les fibres de son être et l’affection dont elle avait été entourée n’avait pu consoler ce cœur meurtri.

— Bonjour, maman, fit-elle avec effort. Le courage me vient. Je ne serai plus longtemps malade.

— Tout va bien en effet, dit Madame de Lavérendrye avec indulgence, puisque tu peux te lever.

Elle alla au-devant d’elle et la conduisit au lit sur lequel, avec mille précautions, mille caresses, elle l’aida à s’étendre.

— Pose ta tête ici…

— Que vous êtes bonne, fit Pâle-Aurore, pour une sauvagesse… Je suis bien ainsi…

Elle regarda par la fenêtre. Le soleil déclinait peu à peu à l’horizon, le caressant de ses chaudes couleurs. Dans le jardin, les oiseaux continuaient à chanter. Elle souriait et sa tête s’auréolait de lumière.

— On dirait une sainte, murmura Catherine.

— Aucune figure peinte sur les vitraux d’église ne reflète autant de pureté, répondit Madame de Lavérendrye.

Pâle-Aurore venait de lever délicatement sa main dans la direction du soleil.

— Il se penche maintenant sur l’immense prairie.

Elle se mit à songer.

— Que disais-je, Pierre ? Sa pensée est là-bas. C’est d’en demeurer si loin qu’elle meurt. Elle est si douce, si soumise qu’elle ne songe pas seulement à briser le lien qui l’attache ici fatalement… À quoi penses-tu, mon enfant ?

— Oh !… pardon, fit l’Indienne en sortant de son rêve, j’avais oublié que vous entouriez ma couche.

— Tu penses à ton pays n’est-ce pas ? Si ta bouche ne le dit pas, tes yeux parlent. Nous y lisons ton désir de revoir ta patrie.

— Pouvez-vous penser ?

— Ce n’est que trop naturel. C’est un rêve que tu voudrais voir se réaliser. Cette pensée avait fait tressaillir son cœur et cependant elle répondit :

— Pourquoi quitterais-je ces lieux ? Ne suis-je pas ici entourée d’affection ? N’ai-je pas pour me consoler, outre votre tendresse, la religion que m’enseigna celui que nous pleurons ?… N’ai-je pas aussi son