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L’ÎLE AU MASSACRE

faudra dire votre messe avant le lever du soleil.

Dans la soirée, Jean-Baptiste vit Pâle-Aurore accourir vers lui affolée.

— Avez-vous vu Rose-des-Bois, demanda-t-elle ?

— Non, que se passe-t-il encore ?

— Je ne sais. En arrivant dans ma tente, j’ai constaté que ma sœur a enlevé toutes ses affaires.

Jean-Baptiste resta songeur.

— Viens avec moi.

Ils se dirigèrent vers la sentinelle qui gardait l’entrée du fort. Il lui demanda :

— As-tu vu passer Rose-des-Bois ?

— Oui. Elle est sortie ce matin en disant qu’elle allait à la rencontre de Cerf-Agile.

— C’est bien.

— Oh ! mon ami, dit Pâle-Aurore inquiète et tremblante, j’ai peur de vous voir partir.

— Ma chérie, chasse de ta pensée ces tristes idées.

— J’ai peur, horriblement peur.

Jean-Baptiste la prit doucement dans ses bras et la déposant sur le seuil de sa tente, il l’embrassa.

— À demain, ma douce fiancée.

À l’heure où le soleil levant embrasait l’horizon de ses feux empourprés, une clochette tintait dans la chapelle du fort. Le prêtre élevait ses humbles regards vers son créateur et dans la nef ceux qui allaient partir se remettaient entre les mains de Dieu.

Le P. Aulneau pria longuement.

Eut-il un pressentiment ? Sa messe fut dite avec la ferveur d’un nouvel ordonné.

— Seigneur, disait-il dans son cœur, Seigneur à qui tout appartient dans le ciel et sur la terre, je veux aussi me donner à vous, par une oblation volontaire ; je veux être à vous pour toujours. Dans la simplicité de mon cœur, je m’offre à vous aujourd’hui, mon Dieu, pour vous servir à jamais, pour vous obéir, pour m’immoler sans cesse à votre gloire.

« Recevez-moi avec l’oblation sainte de votre précieux corps, que je vous offre aujourd’hui en présence des anges qui assistent invisiblement à ce sacrifice ; et faites qu’il porte des fruits de salut pour moi et pour votre peuple.

« Toutes les fautes et tous les crimes que j’ai commis devant vous et devant vos saints anges, depuis le jour où j’ai commencé à pécher jusqu’à ce jour, je vous les offre, Seigneur, sur votre autel de propitiation afin que vous les consumiez par le feu de votre amour, que vous effaciez toutes les taches dont ils ont souillé ma conscience, et qu’après l’avoir purifiée, vous me rendiez votre grâce que mes péchés m’avaient fait perdre, me les pardonnant tous pleinement, et me recevant, dans votre miséricorde, au baiser de paix.

« Que puis-je faire pour expier mes péchés, que de les confesser humblement avec une amère douleur, et d’implorer sans cesse votre clémence ?

« J’ai une vive horreur de tous mes péchés… Pardonnez-les moi, Seigneur, pardonnez-les moi pour la gloire de votre saint nom. Sauvez mon âme que vous avez rachetée au prix de votre sang.

« Voilà que je m’abandonne à votre miséricorde ; je me remets entre vos mains : traitez-moi selon votre volonté et non selon ma malice et mon iniquité.

« Je vous offre aussi tous les pieux désirs des âmes fidèles, les besoins de mes parents, de mes amis, de tous ceux que j’aime ; de ceux qui m’ont fait ou à d’autres quelque bien pour l’amour de vous ; de ceux qui ont demandé ou désiré que j’offrisse des prières et le Saint Sacrifice pour eux et pour les leurs, soit qu’ils vivent encore en la chair, soit que le temps ait fini pour eux.

« Aidez-nous à l’heure de notre mort. »

Et quand la messe terminée il se retourna pour les bénir, il apparut transfiguré. Une joie céleste illuminait son visage et de ses lèvres tombèrent, une fois encore, des paroles de grâce et de miséricorde.

Les canots étaient prêts.

Montés dans les embarcations, dix-neuf employés, attendaient le moment du départ.

— Avez-vous d’autres ordres, demanda Jean-Baptiste ?

Lavérendrye venait de jeter un dernier regard aux hommes.

— Je n’ai qu’un mot à ajouter. Depuis que je me suis engagé dans cette œuvre, j’ai toujours eu soin de me concilier la bonne volonté, l’attachement puis-je dire des tribus indiennes dont j’ai dû fouler le territoire. Il importe que nous continuions cette politique de paix. S’il vous arrivait, au cours de ce voyage, de ren-