Page:Willaume - L'île au massacre, 1928.djvu/57

Cette page a été validée par deux contributeurs.
55
L’ÎLE AU MASSACRE

— Je crois qu’il serait bon, dit Jean-Baptiste, d’envoyer de nouveaux canots avec mission de revenir avec le convoi s’ils le rencontrent, ou dans le cas contraire de descendre jusqu’à Michillimakinac.

— C’est aussi mon avis, fit François. Inutile d’ailleurs de se faire illusion, le danger que courent les canots est très grand. La famine dont nous avons souffert et dont nous souffrons encore, les bandes d’Indiens qui nous entourent en souffrent aussi. Et qui sait jusqu’où le besoin peut pousser ces tribus malgré l’amitié que la plupart d’entre elles professent à notre égard ? Non seulement les vivres que nous attendons et qui nous sont devenus indispensables sont en danger, mais aussi les compagnons qui nous les amènent.

— Je n’envisage pas la situation de façon aussi sombre, répondit Lavérendrye d’un ton d’encouragement. Je connais les hommes qui conduisent la flottille, et Legros qui la dirige est un de nos meilleurs officiers. Je sais qu’ils sont bien armés. Je sais aussi que les vivres sont répartis de telle sorte entre les canots qu’ils ne risquent guère de sombrer, à moins de tempête extraordinaire. Or nous n’avons aucune raison de croire, n’est-ce pas, Louis-Joseph, que la température ait été autre par là dans ces derniers jours qu’elle ne l’a été ici où elle a été idéale. Cependant, nous ne saurions prendre trop de précautions pour assurer l’arrivée des ravitaillements. Il serait donc bon qu’une expédition s’organisât sur le champ et partît au-devant de Legros et de ses hommes.

— C’est la meilleure solution dit François.

— Puisque vous semblez tous de cet avis, ne perdons pas de temps. Pierre, va dire aux hommes de se préparer à partir demain matin.

— Combien feront partie de l’expédition ?

— Une vingtaine.

— J’aurais une faveur à vous demander, fit le P. Aulneau.

— Vous savez qu’elle est accordée si c’est en mon pouvoir.

— De par la mort de votre neveu et le retour de vos fils du fort Maurepas le pays que vous aviez l’intention de parcourir se trouve donc fermé pour quelque temps encore, pour vous comme pour moi. Immobilisé ici, je n’ai pas eu l’occasion de voir de mes confrères en religion. Il me fut donc impossible de satisfaire ma conscience et de chercher à mon tour direction dans ma vie spirituelle.

— Je ne me vois guère en droit de refuser une semblable requête, mais je ne puis m’empêcher de vous avertir du péril auquel vous vous exposez.

— Que cette crainte ne vous arrête pas. La place d’un ministre de Dieu n’est-elle pas toujours au plus fort du danger ?

— Mais…

— Ne serai-je pas entre les mains de Dieu ? Craignez-vous de sentir ma mort peser sur votre conscience ? ajouta le prêtre en souriant.

— Non, non, allez, Père.

— Vous allez sans doute donner un de vos fils comme chef à l’expédition ?

Lavérendrye sentit son cœur battre à coups précipités. La mort de la Jemmeraye était trop récente pour qu’elle fût oubliée. Malgré lui, des craintes l’empêchaient de se séparer si tôt de ses fils. Il aurait voulu les garder quelque temps encore autour de lui. Il répondit :

— Telle n’était pas mon intention. J’avais pensé à donner le commandement à La Londette qui est sérieux et qui connait bien le chemin.

— J’aurais aimé être accompagné de Jean-Baptiste.

Celui-ci regarda en soupirant Pâle-Aurore qui montrait un visage attristé, tandis que Lavérendrye répondait :

— Rien ne l’oblige à rester ici, si ce n’est…

— Ne sera-ce pas au contraire une bonne occasion pour lui, ajouta malicieusement le prêtre en jetant un coup d’œil aux deux amoureux, de procurer un magnifique trousseau à sa fiancée ?

— Vous avez raison, fit Jean-Baptiste en souriant, Pâle-Aurore n’en sera que plus récompensée pour avoir attendu un peu.

— Et au retour je bénirai votre mariage.

— Nous aurons des provisions…

— Rien donc ne manquera à la fête.

Tous étaient heureux. Les choses s’arrangeaient bien et un souffle d’espérance réjouissait les cœurs.

— Allons, dit Lavérendrye, allez préparer votre départ. Jean-Baptiste, tu aideras Pierre dans le choix des hommes, et vous père, ajouta-t-il d’un ton enjoué, il