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L’ÎLE AU MASSACRE

— Il m’a dit qu’il allait naviguer sur le lac et essayer de prendre du poisson.

— L’as-tu revu ?

— Non.

— De quel côté s’est-il dirigé ?

— Je ne sais pas.

— Qu’avait-il avec lui ?

— Je ne sais pas.

— N’avait-il pas un tonnelet avec lui ?

Rose-des-Bois tressaillit imperceptiblement.

— Je ne sais pas.

Lavérendrye vit qu’il n’y avait plus rien à tirer d’elle.

— C’est bien. Tu peux partir, mais ne sors pas du fort.

Quand elle se fut éloignée, Pâle-Aurore demanda à Jean-Baptiste qui s’était approchée d’elle.

— Qu’y a-t-il ? Pourquoi cet interrogatoire au sujet de Cerf-Agile ?

— J’ai dit à mon père la conversation que tu as eue avec lui et au moment où je le mettais en garde, Pierre est venu nous dire que le magasin avait été visité pendant la nuit. La disparition de Cerf-Agile l’accuse.

— Comment ? Croyez-vous que sa disparition pourrait avoir des conséquences fâcheuses pour nous ?

— Hélas ! Tu as pu remarquer toi-même tout à l’heure l’attitude de Rose-des-Bois. Je la crois l’âme de ce malaise qui règne sur nous.

— Mais le départ de Cerf-Agile n’est que naturel.

— Dans un autre moment, il le serait en effet. Aujourd’hui après tout ce que nous avons appris, les choses prennent un aspect redoutable et mystérieux.

Pâle-Aurore frissonna devant le danger qui subitement se révélait à ses yeux.

— Jean-Baptiste, mon bien-aimé, j’ai du remords.

— Mais, ma chérie...

— Je n’ai pas dit tout ce que je savais.

— Rose-des-Bois t’aurait-elle fait peur ?

— Non. J’ai cru qu’en parlant j’accuserais Cerf-Agile et je ne voulais pas l’accabler, lui qui souffre déjà tant par moi.

— L’heure est à la vérité, ma chère Pâle-Aurore, et tu connais assez mon père pour savoir que sa conduite n’est dictée que par sa droiture.

— Pardonnez-moi.

Lavérendrye, depuis un moment, les regardait discuter. Quand il vit la jeune fille baisser la tête avec tristesse, il demanda.

— Qu’y a-t-il ?

— Père, Pâle-Aurore voudrait vous parler.

— Monseigneur, je regrette de ne vous avoir pas dit qu’hier soir en rentrant dans ma tente j’ai cru voir Cerf-Agile qui sortait de la sienne.

— À quel moment était-ce ?

— Je venais de quitter…

— Nous avions parlé ensemble une partie de la soirée, dit Jean-Baptiste.

— L’amour sous les étoiles ? dit malicieusement Louis-Joseph.

Pâle-Aurore rougit jusqu’au fond des yeux, tandis que Jean-Baptiste regardait son frère d’un air courroucé.

— Continue, dit Lavérendrye et ne prête pas attention à leurs remarques.

— Mais, Monseigneur, c’est tout ce que j’ai observé.

— Dans le courant de la nuit, Rose-des-Bois ne t’a-t-elle pas semblé un peu nerveuse ?

— Je n’ai rien vu, Monseigneur, je dormais si bien, fit-elle en regardant Jean-Baptiste avec tendresse.

— Oui, le sommeil du juste, fit Louis-Joseph.

— C’est bien.

Lavérendrye réfléchit un instant encore et sembla oublier cette affaire. Une autre attirait son attention d’une façon plus poignante. Il n’avait pas de nouvelles de Bourassa et cela l’inquiétait.

Le P. Aulneau entra avec Front-de-Bœuf.

Lavérendrye mit le missionnaire au courant de la situation. Celui-ci montra un étonnement douloureux.

— Quelles nouvelles ? demanda l’explorateur à l’Indien.

Front-de-Buffle secoua la tête dans un geste négatif.

— Aucun signe des canots ? fit Jean-Baptiste.

— C’est bien étrange, remarqua Lavérendrye. Partis avant nous et déjà à moitié route quand nous les avons rencontrés, huit jours après notre départ de Montréal, il y a longtemps qu’ils devraient être ici, avec Bourassa que j’ai dépêché à leur rencontre.