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L’ÎLE AU MASSACRE

— Elle dit que tu lui as sauvé la vie. Est-ce vrai ?

— C’est vrai.

— Elle dit aussi que tu as été bon pour elle.

— J’ignore si j’ai été bon, mais j’ai fait mon devoir en la protégeant.

Bec d’Aigle adressa la parole aux guerriers. Il parlementa. On lui fit des objections. Quelques-uns semblaient furieux et ne voulaient pas lâcher une si belle capture. Bourassa et ses compagnons n’étaient pas rassurés.

— Si Amiotte était là, dit Paquin, il rirait de nous voir ainsi.

— C’est lui qui nous a porté malheur, répliqua Doucette.

— Tu peux faire ton acte de contrition. Notre sort est réglé.

— Aujourd’hui ou demain, il faudra toujours en finir un jour ou l’autre.

— Alors le plus tôt possible sera le mieux.

— Adieu.

— Au revoir.

Les vociférations s’étaient calmées. Bec d’Aigle s’avança vers Bourassa. Des ordres furent donnés et à leur grande surprise les Blancs furent déliés. Ce ne fut pas sans satisfaction que les cinq compagnons se virent rendus à la liberté. Ils se précipitèrent vers leur canot ; là ils constatèrent avec stupeur qu’il n’y restait plus que les rames. Provisions, fusils, cartouches, tout avait été pillé.

— Nous allons au fort, dit Bec d’Aigle à Bourassa. Nous verrons si tu nous as menti. Si tu as dit la vérité, nous te rendrons ce qui t’appartient, sinon tu subiras la torture à laquelle tu échappes maintenant.

Comme une nuée d’oiseaux, les Sioux s’élancèrent alors vers leurs pirogues et ils disparurent comme ils étaient venus.

Paquin tremblait encore et c’est d’une voix chevrotante qu’il dit :

— Nous n’allons pas les attendre, j’espère.

— Non, répondit Bourassa. Il suffit de les avoir rencontrés une fois. En route et ramez ferme.

Quelques instants après, le canot s’évanouissait à l’horizon. Et le lac, à nouveau, reposait tranquille dans sa solitude.


VI

UN BAISER DANS LA NUIT


À l’heure où Bourassa et ses compagnons fuyaient le lieu de leur aventure, quatre canots, venant du nord, approchaient du fort Saint-Charles.

— Quelle belle journée, disait Pierre à Jean-Baptiste.

— Il me semble que plus nous avançons, plus la nature nous sourit.

— Encore quelques milles, et nous serons arrivés.

Ni l’un ni l’autre ne songeait à la terrible nouvelle qu’ils apportaient avec eux. La seule pensée d’avoir pu changer du lieu où ils avaient tant souffert, les réconfortait, les réjouissait. Le soleil dont les rayons éclatants miroitaient dans l’eau, leur réchauffait le cœur.

— Père sera bien étonné de nous voir, reprit Jean-Baptiste.

— Et François, et Louis-Joseph ?

— Et le P. Aulneau ?

— Et Pâle-Aurore ?

Jean-Baptiste regarda son frère en souriant.

— Il me semble que tu penses à elle beaucoup plus que je ne le fais moi-même.

— Dame ! ma future belle-sœur !

— Je serais bien heureux, reprit Jean-Baptiste le visage sérieux cette fois, de pouvoir en faire ta sœur. Plus j’y pense et plus je suis persuadé qu’elle est digne d’entrer dans notre famille. As-tu remarqué comme sa beauté est différente de ses compagnes ? Il y a en elle quelque chose d’inconnu chez les Indiennes de sa tribu, même chez sa sœur, Rose-des-Bois. Cette chose indéfinissable dans ses manières, dans son attitude, dans son regard ne peut se retrouver que chez les femmes de notre race. Et cela m’intrigue.

— C’est ce qui t’a poussé vers elle avec tant de force ?

— Oui.

— Pourquoi ne chercherais-tu pas la source de ce charme, car c’est un charme qui t’a ensorcelé, dans le passé ? N’as-tu pas fait allusion, au cours de nos conversations lors du retour de ton premier voyage sur le lac Ouinipeg, aux Français qui t’avaient précédé dans ces parages ? Pâle-Aurore n’aurait-elle pas l’un d’eux pour ancêtres ?

— J’y ai songé bien souvent. Et par là