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L’ÎLE AU MASSACRE

tin, à l’heure où se préparait le mariage d’Amiotte, ils se mirent en route, décidés à faire diligence.

Ils se trouvaient à environ douze lieues du fort, quand une trentaine de pirogues montées par une centaine de Sioux débusquèrent de derrière les îles où elles se tenaient cachées et cernèrent immédiatement le canot. En un clin d’œil, Bourassa et ses compagnons furent pris et garrottés. On les débarqua, et attachés à des arbres, ils attendirent leur destin.

Paquin tremblait comme une feuille. Ses mâchoires claquaient sinistrement les unes contre les autres. Ce bruit énerva Doucette.

— Mets ta langue entre tes dents, lui cria-t-il. Tu vas nous faire passer pour des peureux. Du courage que diable, tu n’es pas encore mort.

Des feux de tortures s’allumaient et les Indiens s’apprêtaient à célébrer leur prise. Bec d’Aigle, leur chef, s’approcha de Bourassa et lui demanda en Cris :

— Tu es leur chef ?

— Oui.

— D’où viens-tu ?

— Du fort Saint-Charles.

— Ah !… Tu es l’un des Français qui ont tiré sur nous.

Bourassa ne savait ce que Bec d’Aigle voulait dire. Anxieusement, il se mit à réfléchir, puis tout à coup, il se souvint qu’un jour où il était revenu de la pêche avec La Londette des coups de feu de joie avaient été tirés par ses camarades et par les Indiens.

— Tu ne réponds pas ?

— Tu te trompes. Personne n’a tiré sur tes guerriers.

Les sauvages regardaient Bourassa d’un air menaçant. Des cris effroyables se firent entendre.

— Tu entends, dit Bec d’Aigle, ils demandent vengeance de l’attaque dont ils ont été les victimes.

— Les Français ont tiré sur nous.

— Dis-leur qu’ils se trompent, protesta Bourassa… Vous vous trompez, des coups de fusil ont été tirés en effet, mais pas contre vous.

— Tu avoues.

— J’avoue qu’un feu de salve a été fait, mais il n’était que l’expression de notre joie, parce que nous avions fait bonne pêche…

— Nous avons été attaqués, affirma Bec d’Aigle.

Bourassa, se trouvant en butte à un entêtement, ne savait que répondre. Et déjà, il se résignait à la mort. Mais la pensée de voir souffrir ses compagnons lui dicta cette réponse.

— Si réellement on a tiré sur toi et tes guerriers, ce sont les Cris sans doute qui l’ont fait. Si tu veux t’en assurer et venger l’insulte faite à ta nation, va à notre fort. Tu y trouveras des Cris qui sont peut-être les coupables.

Bec d’Aigle ne fut qu’à demi convaincu. Il objecta.

— Les Français favorisent nos ennemis. Ils leur donnent des armes et des munitions, et le fils de leur commandant a été fait chef des Cris.

— Je n’en sais rien, répondit Bourassa. Mais toi-même ou ceux de ta nation ne reçois-tu pas de notre fort toutes les armes que tu peux acheter quand nous les avons ? En outre, j’ai maintes fois entendu le chef des Blancs prêcher la paix aux Cris et aux autres Indiens.

Ces paroles n’eurent pas le résultat qu’il en attendait. L’animosité se concrétisait. Déjà, quelques Sioux faisaient passer sous le nez de Doucette des torches enflammées qui lui roussissaient les poils du visage. Le gros Paquin poussait des cris d’orfraie en voyant la lame nue des poignards frôler sa poitrine. Quant à Lafleur, il écoutait stoïquement les injures que lui lançaient les Indiennes. Parfois il leur disait :

— Je ne comprends pas un mot de ce que vous dites.

Dufleuve était plus favorisé. Un essaim de jeunes filles tournaient autour de lui. Quelques-unes le caressaient, d’autres, au contraire, lui crachaient au visage. Il se demandait si cela allait durer longtemps quand, tout à coup, une jeune fille qui venait d’arriver se précipita vers Bec d’Aigle et lui parla pendant quelques instants. Elle montrait les cinq prisonniers. Mais son regard insistait davantage sur Bourassa. Le chef Indien se dirigea vers ce dernier et lui demanda en montrant la jeune fille :

— La connais-tu ?

Bourassa ne put retenir un cri de surprise.

— Toi ?

Il sourit alors. Un espoir gonfla son cœur.