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L’ÎLE AU MASSACRE

voix de femme effrayée troubla le silence de la forêt.

— As-tu entendu ? dit Doucette à Bourassa.

— Oui. Qu’est-ce ?

— Une voix de femme, je crois, répondit Paquin.

Le cri, de nouveau se fit entendre, plus perçant, plus rapproché.

— Obliquez à droite, dit Bourassa. Il faut voir ce que c’est.

— Dieu nous en garde, dit le gros Paquin qui recommandait déjà son âme au Seigneur, c’est peut-être une embuscade de Sioux.

— Cela se pourrait bien, dit Dufleuve, ils sont si rusés ces maudits sauvages.

— Embuscade ou non, dit Bourassa je veux savoir ce que c’est.

Il prit son arme et vérifia si l’amorce était en place.

— Allons, dépêchez-vous. Nous serons peut-être la cause d’un malheur.

— Ma foi, puisque tu y tiens, dit Paquin, on ne peut pas faire autrement.

Lafleur et Dufleuve qui tenaient les rames poussèrent le canot avec vigueur. En arrivant sur la berge, Bourassa sauta, suivi de Doucette, et se précipita vers l’orée du bois qui se trouvait à quelques mètres du lac. Il y pénétra avec précaution. Il avait fait quelques pas à peine quand il aperçut une Indienne qui fuyait affolée devant un ours. Elle se dirigeait vers lui en poussant des hurlements qui le firent tressaillir. Tout à coup, le pied de l’Indienne se prit dans des lianes qui jonchaient le sol, et elle tomba, la tête violemment projetée en avant. L’ours allait s’abattre sur elle quand un coup de feu l’étendit. Bourassa l’avait tué. Il appela à son aide. Doucette, Paquin, Lafleur arrivèrent, l’arme en main, tandis que Dufleuve gardait le canot. Ils étaient effrayés.

— Tu nous en as donné une frousse, dit Paquin. Quand j’ai entendu le coup de feu, j’ai cru que tu partais dans les limbes.

— Ce n’est pas le moment de plaisanter, fit-il en montrant l’Indienne étendue sans connaissance, et va la soigner auprès du canot. Et nous, sortons cette bête d’ici. Nous avons de la chance.

— Je crois bien, dit Doucette. Cela ne m’allait guère de manger du poisson séché pendant tout le voyage !

Les trois hommes s’attelèrent à l’ours qu’ils traînèrent péniblement hors du bois.

— Mâtin, la belle bête, fit Dufleuve. C’est un beau coup de fusil ça, Bourassa.

— Si Amiotte était là, il dirait sans doute que je n’ai pas de flair. Dépecez cette bête et arrangez-en les morceaux sur le canot.

L’Indienne, grâce aux soins de Paquin, avait repris connaissance. En voyant la bête à terre et Bourassa auprès d’elle, elle eut tout d’abord un geste de crainte. Puis elle le regarda attentivement et vit qu’il souriait. Alors dans un mouvement de reconnaissance, elle se précipita sur les mains de son sauveur qu’elle embrassa avidement.

— C’est bon… ça va, dit Bourassa ému. Qui es-tu ?

L’Indienne fit signe qu’elle ne comprenait pas le français. Bourassa baragouinait le cri. Il lui parla dans cette langue.

— Qui es-tu ? répéta-t-il.

Mais elle ne comprit pas davantage. Il fit des gestes. Aussitôt, les bras de l’Indienne commencèrent à sauter dans tous les sens. Bourassa flegmatique regardait. Enfin, il devina qu’elle appartenait à la nation siouse dont une tribu se trouvait à quelques lieues de là. Elle lui raconta qu’elle se trouvait dans cette partie de la forêt quand elle avait été poursuivie par l’ours. Elle lui demanda ensuite s’il ne pourrait pas la descendre dans son canot à quelques milles plus bas, car elle avait peur de retourner dans sa tribu, par le bois. Bourassa accéda à son désir. Une heure après, le canot avait repris le large. Au lieu désigné par l’Indienne, elle les quitta et, comme une biche, disparut.

— En voilà une drôle d’aventure, dit Paquin… Avez-vous remarqué comme elle était belle ?

— Elle aurait bien fait mon affaire, répondit Lafleur. Je commence à être fatigué de vivre en vieux garçon.

Bourassa, lui, réfléchissait. Une tribu de Sioux se trouvait au sud-ouest. J’aime mieux rencontrer une femme, pensa-t-il, que toute une tribu. Si seulement nous pouvions passer avant qu’ils n’arrivent sur les bords du lac.

— Ramez ferme, commanda-t-il. Il ne faut pas nous endormir ici. La journée se passa sans autre événement. Quand le soir arriva, ils campèrent sur une île, mangèrent avec appétit et dormirent comme des loirs. Le lendemain ma-