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L’ÎLE AU MASSACRE

commerce dans les contrées qu’il découvrirait. En même temps qu’il se faisait commanditer par un groupe de marchands de Montréal pour obtenir l’argent nécessaire à son voyage, il demandait à ses trois fils aînés et à son neveu d’être ses lieutenants et collaborateurs.

Quelle foi ne devait-il pas avoir dans sa mission pour lancer dans une entreprise aux difficultés inouïes des enfants dont le plus âgé avait dix-neuf ans ! Qu’elle avait dû pleurer de douleur et de fierté cette mère qui serrait contre son sein ses deux filles et son plus jeune fils, devant tant de grandeur, de courage et d’abnégation ! Quelle virilité dans ces âmes d’enfants qui sacrifiaient leur fortune et leur avenir à la conquête d’un royaume incertain ! Patrie et Religion, sources sublimes de grandeurs, vous faites de l’enfant un homme et de l’homme un héros !


II

EN MARCHE VERS L’OUEST


Bien que les explorations de Lavérendrye aient été, à maintes reprises, étudiées par d’éminents historiens, nous nous ferions un reproche de ne pas retracer, à grandes lignes tout au moins, les débuts de la mémorable et douloureuse découverte de ce grand homme, de ce génie vivificateur de l’Ouest Canadien. Il est certain que d’autres aventuriers, d’autres explorateurs pour enlever au mot aventurier son sens péjoratif, foulèrent avant Lavérendrye le sol de l’Ouest. Mais leurs voyages, dont il ne subsiste que des récits confus, restaient dans le domaine d’un mythe féerique et inaccessible. Le mérite de Lavérendrye fut d’organiser le chemin dont une partie avait été parcourue par ses prédécesseurs. Il le raccourcit en y mettant des postes où le voyageur pouvait reprendre haleine. Loin d’être comme le promeneur qui note en passant les caractéristiques d’un pays, il s’arrêta, souvent forcé par la nécessité, et étudia les moyens de donner une voie à ce nouveau pays. Il fut le guide qui traça le chemin définitif et sûr aux foules de l’avenir. Il donna une âme à une région inerte et froide.

Ayant quitté Montréal, le 8 juin 1731, avec son jeune état-major composé de trois de ses fils : Jean-Baptiste âgé de dix-huit ans, Pierre Gaultier âgé de dix-sept ans, François âgé de seize ans, et de son neveu Christophe Dufrost de la Jemmeraye qui pouvait avoir alors dix-neuf ans, il arriva à Michillimakinac situé à l’extrémité orientale du lac Huron où il s’arrêta et prit comme missionnaire le père Mesaiger. Comme tous les grands explorateurs de ces régions, Lavérendrye tenait à avoir un prêtre avec lui. Ces hommes énergiques dont la foi à toute épreuve faisait faire des miracles ont toujours eu soin de se placer sous la protection de Dieu à Qui ils demandaient, par l’intermédiaire de ses prêtres, la force d’accomplir leur mission. Si Lavérendrye put faire et organiser ses découvertes au milieu des difficultés sans nombre qu’il rencontra, au milieu des tracas d’argent qui l’accablèrent, c’est à sa foi que nous le devons. Le caractère le mieux trempé a ses heures de faiblesse. La carcasse humaine se fatigue. Elle a besoin d’une croyance qui la soutienne. Et c’est auprès du prêtre que l’homme trouve le plus souvent la consolation et l’encouragement qui lui redonnent sa vigueur et sa force.

Malgré les embûches qu’il rencontrait sans cesse sur son chemin, refus de travailler de la part de ses gens qu’un portage effrayait, jalousie de commerçants qui voyaient en bonne voie la réussite de l’expédition, méchanceté d’envieux qu’un succès rendait malades, il réussit néanmoins à faire établir, à l’automne de 1731, le fort Saint-Pierre sur le lac Pluie. L’année suivante, il conduisait sa petite troupe jusqu’au lac des Bois où il établit le fort Saint-Charles. La santé précaire du Père Mesaiger l’obligea à abandonner son poste. Il redescendit à Montréal accompagné de Jemmeraye qui allait rendre compte des progrès de l’expédition. Hélas, tout n’alla pas comme l’eût souhaité Lavérendrye. Écrasé de dettes, il dut aller, lui-même, plaider sa cause à Québec. Afin de se consacrer entièrement à son œuvre, il dut affermer ses établissements pour satisfaire ses créanciers. N’est-ce pas le lot des grands hommes de travailler dans la pauvreté ? En revenant, il amena avec lui, à l’automne de 1735, son plus jeune fils Louis-Joseph âgé de dix-huit ans et le Père Jean-Pierre Aulneau de la Touche S. J. qui remplaça le père Mesaiger.

Colonisateur autant qu’explorateur, La-