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lune de dépit d'être suspendue à une telle hauteur

 dans le ciel, et de ne pouvoir entendre cette mélodie
 ravissante d'amour.--Vois comme elle enguirlande
 de brouillards ses deux cornes, la lune attardée
 dans sa tâche.
 Des lis blancs, coupes dans lesquelles rêvent les
 abeilles d'or, la neige que forment les pétales tombés,
 quand la brise éparpille les fleurs du châtaignier,
 ou l'éclat des corps d'éphèbes reflétés par
 l'eau,--tout cela ne te suffit-il pas? Désires-tu
 quelque chose de plus? Hélas, les Dieux ne donneront
 jamais rien de plus de leur éternel trésor.
 Car nos grands Dieux ont fini par se lasser, par
 s'irriter de tous nos pêchés sans fin, de notre vain
 effort pour expier par la souffrance, par la prière,
 ou par le prêtre, le gaspillage des jours de la jeunesse,
 et jamais, jamais ils ne prêtent la moindre
 attention, soit au bien, soit au mal, mais dans
 leur indifférence, ils font tomber la pluie sur le
 juste et l'injuste.
 Ils prennent leurs aises, nos dieux. Ils prennent
 leurs aises. Ils parsèment des pétales de rose leur
 vin parfumé. Ils dorment, dorment sous les arbres
 berceurs où s'entrelacent l'asphodèle et le jaune lotus.
 Ils regrettent les jours heureux de jadis, où ils
 ne savaient pas encore ce qu'on peut rêver de mal,
 et faire en rêvant.