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DE DORIAN GRAY

je ne paie jamais les miennes. Le crédit est le capital d’un jeune homme et on en vit d’une façon charmante. De plus, j’ai toujours affaire aux fournisseurs de Dartmoor et ils ne m’inquiètent jamais. J’ai besoin d’un renseignement, non pas d’un renseignement utile bien sûr, mais d’un renseignement inutile.

— Bien ! je puis vous dire tout ce que contient un Livre-Bleu anglais, Harry, quoique aujourd’hui tous ces gens-là n’écrivent que des bêtises. Quand j’étais diplomate, les choses allaient bien mieux. Mais j’ai entendu dire qu’on les choisissait aujourd’hui après des examens. Que voulez-vous ? Les examens, monsieur, sont une pure fumisterie d’un bout à l’autre. Si un homme est un gentleman, il en sait bien assez, et s’il n’est pas un gentleman, tout ce qu’il apprendra sera mauvais pour lui !

M. Dorian Gray n’appartient pas au Livre-Bleu, oncle Georges, dit lord Henry, languide.

M. Dorian Gray ? Qui est-ce ? demanda lord Fermor en fronçant ses sourcils blancs et broussailleux.

— Voilà ce que je viens apprendre, oncle Georges. Ou plutôt, je sais qui il est. C’est le dernier petit-fils de lord Kelso. Sa mère était une Devereux, Lady Margaret Devereux ; je voudrais que vous me parliez de sa mère. Comment était elle ? à qui fut-elle mariée ? Vous avez connu presque tout le monde dans votre temps, aussi pourriez-vous l’avoir connue. Je m’intéresse beaucoup à M. Gray en ce moment. Je viens seulement de faire sa connaissance.

— Le petit-fils de Kelso ! répéta le vieux gentleman. Le petit-fils de Kelso… bien sûr… j’ai connu intimement sa mère. Je crois bien que j’étais à son baptême. C’était une extraordinairement belle fille, cette