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LE PORTRAIT

— Basil, je suis fatigué de poser, cria tout à coup Dorian Gray. J’ai besoin de sortir et d’aller dans le jardin. L’air ici est suffocant…

— Mon cher ami, j’en suis désolé. Mais quand je peins, je ne pense à rien autre chose. Vous n’avez jamais mieux posé. Vous étiez parfaitement immobile, et j’ai saisi l’effet que je cherchais : les lèvres demi-ouvertes et l’éclair des yeux… Je ne sais pas ce que Harry a pu vous dire, mais c’est à lui certainement que vous devez cette merveilleuse expression. Je suppose qu’il vous a complimenté. Il ne faut pas croire un mot de ce qu’il dit.

— Il ne m’a certainement pas complimenté. Peut-être est-ce la raison pour laquelle je ne veux rien croire de ce qu’il m’a raconté.

— Bah !… Vous savez bien que vous croyez tout ce que je vous ai dit, riposta Lord Henry, le regardant avec ses yeux langoureux et rêveurs. Je vous accompagnerai au jardin. Il fait une chaleur impossible dans cet atelier… Basil, faites-nous donc servir quelque chose de glacé, une boisson quelconque aux fraises.

— Comme il vous conviendra, Harry… Sonnez Parker ; quand il viendra, je lui dirai ce que vous désirez… J’ai encore à travailler le fond du portrait, je vous rejoindrai bientôt. Ne me gardez pas Dorian trop longtemps. Je n’ai jamais été pareillement disposé à peindre. Ce sera sûrement mon chef-d’œuvre… et ce l’est déjà.

Lord Henry, en pénétrant dans le jardin, trouva Dorian Gray la face ensevelie dans un frais bouquet de lilas en aspirant ardemment le parfum comme un vin précieux… Il s’approcha de lui et mit la main sur son épaule…