Page:Wilde - Le portrait de Dorian Gray, 1895.djvu/316

Cette page a été validée par deux contributeurs.
310
LE PORTRAIT

Quand il atteignit son habitation, il trouva son domestique qui l’attendait… Il l’envoya se coucher, se jeta sur le divan de la bibliothèque, et commença à songer à quelques-unes des choses que lord Henry lui avait dites…

Était-ce vrai que l’on ne pouvait jamais changer… Il se sentit un ardent et sauvage désir pour la pureté sans tache de son adolescence, son adolescence rose et blanche, comme lord Henry l’avait une fois appelée. Il se rendait compte qu’il avait terni son âme, corrompu son esprit, et qu’il s’était créé d’horribles remords ; qu’il avait eu sur les autres une désastreuse influence, et qu’il y avait trouvé une mauvaise joie ; que de toutes les vies qui avaient traversé la sienne et qu’il avait souillées, la sienne était encore la plus belle et la plus remplie de promesses…

Tout cela était-il irréparable ? N’était-il plus pour lui, d’espérance ?…

Ah ! quel effroyable moment d’orgueil et de passion, celui où il avait demandé que le portrait assumât le poids de ses jours, et qu’il gardât, lui, la splendeur impolluée de l’éternelle jeunesse !

Tout son malheur était dû à cela ! N’eût-il pas mieux valu que chaque péché de sa vie apportât avec lui sa rapide et sûre punition ! Il y a une purification dans le châtiment. La prière de l’homme à un Dieu juste devrait être, non pas : Pardonnez-nous nos péchés ! Mais : Frappez-nous pour nos iniquités !…

Le miroir curieusement travaillé que lord Henry lui avait donné il y avait si longtemps, reposait sur la table, et les amours d’ivoire riaient autour comme jadis. Il le prit, ainsi qu’il l’avait fait, cette nuit d’horreur, alors qu’il avait pour la première fois, surpris un chan-