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DE DORIAN GRAY

— Mon Dieu ! Mon Dieu, cria-t-il !… Et j’allais vous tuer !

Dorian Gray respira…

— Vous avez failli commettre un crime horrible, mon ami, dit-il, le regardant sévèrement. Que cela vous soit un avertissement de ne point chercher à vous venger vous-même.

— Pardonnez-moi, monsieur, murmura James Vane… On m’a trompé. Un mot que j’ai entendu dans cette maudite taverne m’a mis sur une fausse piste.

— Vous feriez mieux de rentrer chez vous et de serrer ce revolver qui pourrait vous attirer des ennuis, dit Dorian Gray en tournant les talons et descendant doucement la rue.

James Vane restait sur le trottoir, rempli d’horreur, tremblant de la tête aux pieds… Il ne vit pas une ombre noire, qui, depuis un instant, rampait le long du mur suintant, fut un moment dans la lumière, et s’approcha de lui à pas de loup… Il sentit une main qui se posait sur son bras, et se retourna en tressaillant… C’était une des femmes qui buvaient au bar.

— Pourquoi ne l’avez-vous pas tué, siffla-t-elle, en approchant de lui sa face hagarde. Je savais que vous le suiviez quand vous vous êtes précipité de chez Daly. Fou que vous êtes ! Vous auriez dû le tuer ! Il a beaucoup d’argent, et il est aussi mauvais que mauvais !…

— Ce n’était pas l’homme que je cherchais, répondit-il, et je n’ai besoin de l’argent de personne. J’ai besoin de la vie d’un homme ! L’homme que je veux tuer a près de quarante ans. Celui-là était à peine un adolescent. Dieu merci ! Je n’ai pas souillé mes mains de son sang.

La femme eut un rire amer…

— À peine un adolescent, ricana-t-elle… Savez-vous